Aux abords de l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, où des caméras où été installées dimanche 23 juillet. | Mahmoud Illean / AP

Le temps des funérailles est revenu dans le conflit israélo-palestinien. Celui d’un nouveau cycle où la violence se nourrit de la colère de la rue et des faiblesses de ceux qui pourraient l’atténuer. Dimanche 23 juillet, trois membres de la famille Salomon ont été portés en terre à Modiin, devant une foule nombreuse. Résidents de la colonie d’Halamish en Cisjordanie, ils fêtaient deux jours plus tôt la naissance d’un petit-fils, lorsqu’ils ont été assassinés au couteau pendant le repas de shabbat par un Palestinien de 20 ans. Il prétendait agir en défense de la mosquée Al-Aqsa.

Dimanche, dans la matinée, un calme irréel régnait sur l’esplanade des Mosquées (mont du Temple pour les juifs). Sous le soleil, le vide. Pas un fidèle musulman, ni d’employé du Waqf, la fondation pieuse jordanienne gérant le site. Quelques touristes et des groupes de juifs religieux, encadrés par la police. Les lourdes portes d’Al-Aqsa demeuraient fermées. Au loin, dans Jérusalem, des sirènes. Et dans l’allée qui conduit en temps normal les croyants de la porte des Lions vers l’esplanade des Mosquées, les portiques de détection de métaux restaient sans emploi.

Messages contradictoires

Depuis leur installation par la police, sans concertation avec le Waqf, en réponse à l’assassinat de deux policiers israéliens le 14 juillet, ces portiques ont concentré la colère des Palestiniens. En particulier ceux de Jérusalem-Est. A l’appel des responsables religieux, ils refusent de se rendre sur le lieu saint tant que les portiques n’auront pas été retirés. Ils prient dans la rue. Depuis une semaine, des affrontements opposent les jeunes à la police autour de la porte des Lions, mais aussi à l’entrée des quartiers arabes de la ville. Aucune faction ne mène la mobilisation. Al-Aqsa soude les colères et les frustrations accumulées. Depuis le 21 juillet, cinq Palestiniens ont été tués et 825 personnes ont été blessées, dont 26 par balles réelles, selon le Croissant-Rouge palestinien.

Les fidèles accusent les Israéliens de vouloir changer le statu quo qui régit l’accès et la gestion de l’esplanade des Mosquées. Plus le temps passe et plus un compromis semble difficile à trouver. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, avait condamné l’attaque contre les deux policiers druzes israéliens. Mais la mobilisation de milliers de fidèles pour Al-Aqsa l’a placé dos au mur. Dimanche, le « raïs » a donc annoncé qu’il rompait tous les contacts avec les Israéliens, dont la coordination sécuritaire. Cette menace ancienne, si elle se concrétisait, serait mutuellement destructrice. « Il est difficile pour lui d’abandonner ce canal sans disposer d’une alternative, note un cadre du renseignement, à Jérusalem. Or, on ne voit pas du tout de progrès dans le dialogue entre le Fatah et le Hamas. »

Mais l’embarras est encore plus grand chez le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Reculer, c’est s’affaiblir. Persister, c’est prendre le risque d’un embrasement. Le cabinet de sécurité s’est réuni pendant six heures, dimanche soir, sans prendre une décision sur les portiques, déchiré entre les calculs politiques et la multiplication des foyers d’incendie : les points de friction, pour l’heure surtout à Jérusalem-Est ; la résurgence de la menace, en Cisjordanie, des attaques individuelles contre les colons et les soldats ; les répercussions régionales. Une nouvelle réunion du cabinet était prévue lundi.

M. Nétanyahou n’a établi aucun lien entre l’attaque commise à Halamish et la crise des portiques autour de l’esplanade des Mosquées. « Cela fait cent ans que nous faisons face à ce terrorisme meurtrier et que nous le surmontons », a-t-il déclaré dimanche, en marge d’une cérémonie à Jérusalem. Les messages envoyés au cours du week-end ont été contradictoires. Samedi soir, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires palestiniens (COGAT), le général Yoav Mordechai, a voulu rassurer le monde arabe en déclarant à Al-Jazira que le gouvernement étudiait des « solutions alternatives » aux portiques.

« Troisième Nakba »

Dans la nuit, des caméras dites intelligentes ont été mises en place, près de la porte des Lions. Le porte-parole de la police, Micky Rosenfeld, n’a pas souhaité préciser au Monde si elles étaient thermiques ou de reconnaissance faciale. Malgré cette initiative, les portiques n’ont pas été retirés. Dans la matinée, les responsables du culte musulman ont rejeté tout aménagement. Ils exigent un retour à la situation antérieure au 14 juillet. Impossible, estiment les membres du cabinet de sécurité israélien. « Comment redescendre de l’arbre » : la formule était employée par de nombreux médias au sujet des protagonistes de ce bras de fer.

Poussé par la haute hiérarchie de la police, le ministre de la sécurité publique, Gilad Erdan, est celui qui a milité en faveur des portiques, redoutés par le Shin Bet (service de sécurité intérieur) et l’armée, en raison des répliques violentes prévisibles. Dimanche, le ministre a affirmé qu’ils resteraient en place tant qu’une solution alternative fiable n’aurait pas été trouvée.

Le ministre de la coopération régionale, Tzachi Hanegbi (Likoud), considéré comme un proche de M. Nétanyahou, a averti : « Nous ne capitulerons pas. » Interrogé à la télévision, il a estimé que les Palestiniens allaient causer leur propre malheur en choisissant la violence, se dirigeant « non pas vers une troisième Intifada, mais vers une troisième Nakba ». Cette expression signifiant catastrophe est utilisée pour décrire la fuite forcée de centaines de milliers de Palestiniens au moment de la création d’Israël. La deuxième Nakba à laquelle le ministre semblait faire référence est la guerre des Six-Jours (1967) et les conquêtes territoriales de l’Etat hébreu.

M. Nétanyahou conduit le gouvernement le plus à droite de l’histoire, dont les cadres sont peu expérimentés en matière de gestion de crise de cette ampleur. Depuis le départ en 2016 de son ancien ministre de la défense, Moshe Yaalon, il n’y a plus de poids lourd exprimant une voix de bon sens. De leur côté, Naftali Bennett et les représentants de la droite nationale religieuse considèrent les portiques comme un gain précieux de souveraineté sur le mont du Temple. Ils ne s’embarrassent pas de détails. Pour eux, ces attaques relèvent uniquement de la nature profonde des Palestiniens et de leur haine des juifs, hors de tout contexte religieux ou politique. Ils ont appelé à l’application de la peine de mort pour l’auteur de la tuerie d’Halamish.