Les portiques de détection de métaux, à l’entrée de l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, le 23 juillet. | Mahmoud Illean / AP

Editorial du « Monde ». Dans le sang, Jérusalem vient de rappeler, une fois de plus, une vérité première : cette ville n’est pas comme les autres. Elle occupe une place particulière dans la vie des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam. A l’intérieur, en son point focal, elle abrite, sur quelques mètres carrés, un concentré explosif d’histoire, de religion et de politique : l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam, est soutenue, sur un côté, par le mur des Lamentations, l’un des lieux les plus sacrés du judaïsme.

En un moment de l’affrontement israélo-palestinien où chacune des parties prenantes habille de plus en plus aux couleurs du religieux sa revendication nationale, Jérusalem est devenue le symbole du conflit – l’esplanade des Mosquées en étant l’épicentre. Ici, tout peut dégénérer. Les événements des dernières semaines et ceux du week-end le prouvent. Ils ne relèvent pas du maintien de l’ordre. Ils sont l’aboutissement d’une situation où, faute de compromis territorial et de négociations de paix, la passion religieuse a pris le pas sur le politique. C’est une évolution tragique.

A la mi-juillet, la police a installé des portiques de détection de métaux à l’entrée de l’esplanade. Elle l’a fait en réponse à l’assassinat par balles en ces lieux, le 14 juillet, de deux policiers druzes israéliens par trois Palestiens (des Arabes israéliens). Le gouvernement de droite de Benyamin Nétanyahou a laissé faire la police. Les portiques sont un simple dispositif de précaution, a-t-elle dit, comme il y en a dans les aéroports, à l’entrée des boîtes de nuit et des stades de football.

Nétanyahou sous pression

L’armée et le Shin Beth, les services secrets, étaient contre les portiques : on ne touche pas au statu quo sur l’esplanade, dont la gestion est assurée par une fondation religieuse jordanienne, le Waqf. Militaires et services savent ce que l’esplanade représente pour les Palestiniens : le point de rencontre entre les deux branches du mouvement national (le Fatah de Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas) ; un des rares endroits encore sans checkpoint israélien ; quelques mètres carrés politiquement et religieusement intouchables.

M. Nétanyahou le sait lui aussi. Il n’a pas oublié qu’en son temps, en 2000, la visite d’un des chefs de son parti, Ariel Sharon, sur l’esplanade fut l’un des déclencheurs de la deuxième Intifada. Mais le premier ministre est sous la pression de sa droite, qui veut imposer la souveraineté israélienne en tous lieux et défend le maintien des portiques quelles qu’en soient les conséquences. On les connaît : cinq morts et 825 blessés depuis le 21 juillet chez les Palestiniens ; trois Israéliens tués au couteau par un Palestinien de 20 ans, au nom de la « défense » de l’esplanade, dans la colonie d’Halamish, en Cisjordanie ; enfin, l’agression, dimanche 23 juillet, d’un diplomate israélien à Amman (qui se solde par la mort de deux Jordaniens).

L’esplanade est une cause sacrée dans le monde arabe. Le rapprochement entre Israël et le front arabe sunnite anti-iranien peut être remis en cause par les événements de Jérusalem. Parce qu’il est à la tête d’un gouvernement qui défend d’abord l’extension de la colonisation, M. Nétanyahou ne veut pas céder sur les portiques après la tuerie d’Halamish. Le piège se referme. La Ville sainte entre, une fois de plus, dans la zone des tempêtes. Ce n’était pas inévitable.