Le 9 juillet 2017,supporters de Khalifa Sall, candidat aux législatives du 30 juillet du maire de Dakar, maintenu en prison depuis mars après des accusations de « détournement de deniers publics ». | SEYLLOU / AFP

Les partisans de Khalifa Sall sont parvenus à porter puis à maintenir leur champion à la tête de la coalition d’opposition Mankoo Taxawu Senegaal pour les législatives. Mais pourront-ils réussir la prouesse de faire gagner les élections du dimanche 30 juillet à un candidat détenu depuis le 7 mars, soupçonné d’avoir détourné 2,7 millions d’euros de deniers publics et qui n’a pu battre campagne ?

Depuis 2014, Khalifa Sall constitue sans doute l’adversaire politique le plus dangereux pour le pouvoir. Il a remporté tous les combats qui l’ont opposé au régime de Macky Sall. Lors des dernières élections municipales, il bat la première ministre du moment, Aminata Touré, dans la localité de Grand-Yoff, et s’empare de quinze communes sur les dix-neuf que compte la capitale sénégalaise. Deux années plus tard, en septembre 2016, nouvelle victoire à Dakar, lors l’élection du haut conseil des collectivités territoriales.

« Khalifa est présent dans les cœurs et dans les esprits, les Sénégalais savent qu’il a été emprisonné pour être empêché de participer aux législatives. Non seulement il est candidat mais il a réussi à présenter une liste et à être porté à la tête d’une grande coalition. C’est une première victoire et nous sommes confiants pour les législatives », déclare Moussa Taye, le conseiller politique du maire de Dakar.

La stratégie de mener campagne sans son leader

Pour gagner les législatives, les partisans de Khalifa Sall déroulent depuis le début de la campagne une stratégie qui s’articule entre les alliés de la coalition Manko Taxawu Senegaal et le mouvement de Khalifa Sall, Taxawu Ndakaru. Ils privilégient les rassemblements et les visites de proximité. Les séances de sensibilisation et d’information sur « la détention arbitraire » dont le maire fait l’objet selon eux ont été multipliées. L’objectif étant, sans le dire, de toucher le cœur des électeurs. « Partout où nous passons, les gens nous écoutent et nous promettent de nous accompagner dans notre mission », confie Aby Wath, conseillère en image du maire de Dakar. Le lancement des activités du Mouvement des 1 000 jeunes pour la libération de Khalifa Sall fait aussi partie de l’artillerie des soutiens du maire en détention. A travers des slogans comme « 1000 jeunes debout pour Khalifa Sall » ou alors « 1 cœur-1 but-1000 voix », les jeunes organisent des marches pacifiques partout dans le pays pour demander la libération de leur leader.

Sur le plan juridique, la stratégie consiste à faire pression sur le pouvoir en place : les demandes de libération provisoire se suivent mais sont toutes refusées. La dernière en date, introduite le 17 juillet par les avocats du maire, souligne qu’à défaut d’une liberté provisoire Khalifa Sall réclame au doyen des juges d’être libéré le temps de la campagne ou d’être autorisé à sortir le jour du scrutin électoral afin d’exercer son droit de vote.

Le 20 juillet, la Cour suprême a rejeté les pourvois des inculpés – 5 personnes sont accusées avec Khalifa Sall – au motif que, « selon la Chambre d’accusation, les inculpés ont reconnu le décaissement d’une somme totale de 1 830 000 000 francs CFA et n’ont pu en justifier l’utilisation. (…) Il ne peut être donné mainlevée du mandat de dépôt que si, au cours de l’information, surviennent des contestations sérieuses ou le remboursement ou le cautionnement de l’intégralité du manquant ».

Le 9 juillet 2017, des militants qui soutiennent la candidature aux législatives du 30 juillet du maire de Dakar, Khalifa Sall, organisent une parade pour leur champion, maintenu en prison depuis mars après des accusations de « détournement de deniers publics ». | SEYLLOU/AFP

Les protestations des avocats de la défense n’ont alors pas tardé. « La Cour suprême du Sénégal a rendu compte de son arrêt dans des termes choisis qui tendent insidieusement à faire croire que M. Khalifa Sall a reconnu le détournement et la commission de faux en écritures, dénoncent-ils dans un communiqué. (…) Ce procédé de la Cour suprême démontre enfin que le procès initié par l’Etat du Sénégal contre M. Khalifa Sall n’est ni juste ni équitable et que la justice sénégalaise instrumentalisée contre sa personne n’est pas indépendante dans les faits. »

Outre la bataille devant les tribunaux, les soutiens du maire Khalifa Sall entendent faire du quartier Grand-Yoff, son fief, « un bastion rebelle ». Le 14 juillet, la caravane de Benno Bokk Yaakaar, la coalition au pouvoir, où se trouvaient l’artiste Youssou Ndour et le ministre de la jeunesse, y a essuyé des jets de pierres. « Qui se frotte à Grand-Yoff s’y pique, ce quartier restera toujours fidèle à Khalifa Sall », criait entre deux lancers un jeune qui se réclame de Taxawu Ndakaru.

Le retour de Wade risque de changer la donne

Khalifa Sall est l’absent omniprésent de cette campagne, mais les préparatifs de cette bataille électorale sont complexes pour les lieutenants du chef emprisonné. « La tâche n’est pas facile du point de vue affectif, car Khalifa n’est pas avec nous pour porter le message. A ce niveau, nous avons des difficultés mais nous sommes tous des Khalifa », martèle Moussa Taye.

Le maire de Dakar s’est constitué un capital de sympathie chez les Sénégalais, mais le retour de l’ancien président Abdoulaye Wade, le 10 juillet, a cependant changé la donne. Le « Vieux », 91 ans, a été accueilli par ses partisans en liesse et a pris la tête d’une autre coalition de l’opposition, Wattu Senegaal. « Khalifa Sall et sa coalition sont de plus en plus noyés par Abdoulaye Wade qui draine les foules partout où il passe. Cet engouement autour de Wade se traduira-t-il dans les urnes ? Il est difficile de le dire mais, aujourd’hui, la seule certitude est que, du fond de sa cellule, il sera difficile pour Khalifa Sall de faire de l’ombre à la coalition au pouvoir et à Abdoulaye Wade », analyse le journaliste Mademba Ramata Dia.

Sachant le risque que son absence publique fait courir à la campagne de sa coalition, Khalifa Sall a pris la plume depuis sa cellule le 13 juillet, pour présenter aux Sénégalais son projet de société. Dans ce courrier, simplement intitulé « Khalifa Ababacar Sall vous écrit », il dénonce l’acharnement dont la justice fait preuve contre sa personne. « Les autorités n’ont pas apprécié sa diffusion qui révèle des failles dans notre système pénitencier », commente sous couvert d’anonymat un cadre de la coalition au pouvoir.

Avec le retour du président Wade sur la scène politique et la colère suscitée par l’emprisonnement de Khalifa Sall, challenger putatif de Macky Sall lors de la présidentielle de 2019, ces législatives prennent les contours d’une primaire avant l’heure. Khalifa Sall se présentera-t-il à l’élection présidentielle si sa coalition perd les législatives ? « Khalifa Sall est dans le même état d’esprit que nous et quels que soient les résultats du 30 juillet, nous allons continuer à faire de la politique, lance Moussa Taye. Nous avions promis aux Sénégalais une liste pour ces législatives et un candidat pour la présidentielle de 2019… Ce sera Khalifa Sall, naturellement ! »