Le check-point de Qalandiya, entre Ramallah et Jérusalem, lors de heurts entre Tsahal et des manifestants palestiniens, le 23 juillet. | ABBAS MOMANI / AFP

Après l’assassinat de deux policiers israéliens par trois Palestiniens, le 14 juillet, Israël a décidé d’installer des portiques de sécurité aux abords de l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. La mesure a scandalisé les fidèles musulmans, et des violences ont fait huit morts depuis le 21 juillet. Dimanche 23, une fusillade dans l’ambassade d’Israël à Amman a fait deux nouveaux morts. Le correspondant du Monde à Jérusalem, Piotr Smolar, a fait le point avec les internautes du Monde.fr.

Tuile4 : Bonjour, d’après des vidéos de surveillance, les tueurs arabes israéliens se seraient approvisionnés en armes par l’intermédiaire de la mosquée d’Al-Aqsa, sur l’esplanade des Mosquées. Cela ne justifierait-il pas ces détecteurs de métaux ?

Piotr Smolar : Bonjour. Les portiques semblent soudainement être devenus la solution miracle pour répondre aux violences palestiniennes dans la vieille ville de Jérusalem. Cela n’a pas de sens. Tout d’abord, ils ont été placés non pas à l’entrée de la vieille ville, mais de deux allées conduisant les fidèles musulmans vers l’esplanade des Mosquées. Ils n’auraient en rien permis d’empêcher, par exemple, l’assassinat d’Hadas Malka, membre de la police aux frontières, le 16 juin près de la porte de Damas.

Leur installation a été décidée après l’assassinat, le 14 juillet, de deux policiers druzes israéliens par trois Arabes israéliens. La police a diffusé une vidéo montrant l’aide d’un complice, qui a amené les armes à feu à l’intérieur de l’esplanade. Le gouvernement a donc décidé de réagir en suivant les recommandations de la police.

Les forces de l’ordre ont pris une mesure exceptionnelle, en fermant l’esplanade au public et en procédant à des fouilles complètes des bâtiments du Waqf, la fondation pieuse jordanienne gérant ces lieux. Elle soupçonnait l’existence de possibles caches d’armes. Elle n’a trouvé que quelques couteaux. Ensuite, la police a installé les portiques, mais sans consultation réelle avec le Waqf, ni avec les Jordaniens

Dams09 : Est-il vrai que pour se rendre en pèlerinage à Médine ou à la Mecque, les musulmans doivent passer des portiques ? Si oui, pourquoi en faire toute une histoire pour accéder à cette esplanade ?

C’est vrai, mais ces comparaisons passent sous silence des points fondamentaux. La mosquée Al-Aqsa et toute l’esplanade représentent le cœur de l’identité palestinienne, vers où les Palestiniens regardent avec foi, mais aussi avec fierté. Tous les responsables sécuritaires israéliens expérimentés vous le diraient : on ne touche pas à l’esplanade et à son équilibre fragile si on veut éviter de déclencher la colère palestinienne.

La gestion et l’accès au lieu de culte sont régis par un statu quo. Seuls les musulmans ont le droit d’y prier. Toute décision touchant à son environnement doit logiquement faire l’objet de consultations préalables.

Ahmed : Quelles sont les relations entre Israël et le Waqf ? Ne peuvent-ils pas se coordonner pour que le Waqf gère la sécurité ?

Le Waqf a considéré que les portiques étaient une humiliation et une violation du statu quo. C’est pourquoi ils ont appelé les fidèles à ne pas passer sous les portiques et à organiser des prières dans la rue. Mais le principal interlocuteur avec lequel de nouvelles mesures de sécurité doivent être discutées est la Jordanie.

Pour rappel, en novembre 2014, un accord informel avait été conclu entre Israël et la Jordanie pour faire baisser la tension sur l’esplanade. Côté israélien, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’engageait à empêcher les visites de ministres et de députés sur le lieu sacré. Même chose pour les extrémistes juifs qui rêvent de construire un nouveau Temple.

Ensuite, Israël n’imposerait plus de limitations d’accès aux musulmans en fonction de leur âge ou de leur sexe. De son côté, la Jordanie devait empêcher de jeunes Palestiniens, soupçonnés par la police israélienne d’être des émeutiers, de se glisser la nuit sur l’esplanade. Dans l’ensemble, ces engagements ont été tenus jusqu’à récemment, d’où l’absence de troubles majeurs sur ce site.

Visiteur : Ces portiques sont-ils à pure visée sécuritaire où servent-ils un objectif politique de pression « territoriale » d’Israël sur les Palestiniens ?

Ils ont été décidés dans un cadre sécuritaire, alors que le Shin Bet (le service de sécurité intérieur israélien) et l’armée redoutaient les conséquences possibles, les violences autour du site mais aussi en Cisjordanie. Il y a ensuite des calculs politiques. La droite nationale religieuse, conduite par le ministre de l’éducation Naftali Bennett, considère que ces portiques sont une façon d’asseoir la souveraineté israélienne.

Il ne faut pas oublier que jusqu’aux années 1990, il existait en Israël un fort consensus rabbinique interdisant aux juifs de se rendre sur le mont du Temple – c’est là que se dressaient le premier puis le second Temple, détruits en -586 et -70 avant JC. Mais par la suite, la droite messianique a pris de l’ampleur, des rabbins extrémistes ont encouragé les croyants à s’y rendre, des ministres et des députés se sont joints. Les Palestiniens ont développé le sentiment qu’Israël avait un grand dessein secret, consistant à diviser l’esplanade des Mosquées entre les deux religions.

Visiteur 75 : Que dit la Jordanie, qui est semble-t-il souveraine sur l’esplanade des Mosquées ?

La Jordanie est restée très mesurée pendant une semaine, cherchant à convaincre le gouvernement israélien de renoncer aux portiques. Le royaume jouit d’une relation sécuritaire très étroite avec l’Etat hébreu, il n’a aucun intérêt à une crise ouverte. Mais il a aussi ses lignes rouges : le respect des prérogatives du Waqf, la sensibilité des Palestiniens vivant en Jordanie…

Depuis hier, à cette équation est venue s’ajouter l’agression contre un employé de sécurité de l’ambassade israélienne en Jordanie. Celui-ci a tué son agresseur, aux motivations visiblement liées aux événements de Jérusalem, ainsi que le propriétaire de son appartement. Les deux pays cherchent à trouver une issue négociée pour que personne ne perde la face.

JiKa : Les critiques émises par la ligue arabe ou par le président turc peuvent-elles infléchir la position israélienne ? Si ces derniers étaient démontés, cela suffirait-il à faire revenir le calme ?

Le contexte régional importe, bien sûr, mais il n’est pas déterminant. Tout d’abord, les critiques de la Ligue arabe ont été tardives et modérées. Les pays sunnites sont franchement accaparés par l’affaire du Qatar, ainsi que par leur confrontation avec l’axe chiite, conduit par l’Iran. Ils n’ont aucune envie qu’un nouveau front religieux s’ouvre à Jérusalem.

Concernant la deuxième partie de votre question, plus le temps passe et plus le pourrissement s’installe. Plus la crise dure, et plus le risque d’actions palestiniennes violentes, en Israël et en Cisjordanie, s’accroît. Ceux qui doivent trouver le compromis ne sont pas non plus dans de bonnes dispositions, sous pression de leur opinion publique. M. Nétanyahou ne veut pas être accusé par la droite nationale religieuse de capitulation. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, très impopulaire, doit épouser la colère de la rue et annonce la fin des contacts avec Israël, y compris la précieuse coordination sécuritaire.