L’avis du « Monde » - à voir

Avec les nouveaux modes de consommation des images, il va devenir de moins en moins rare que des petites perles passent outre le circuit des salles pour atterrir directement sur les plateformes d’e-cinema. C’est le cas de Colossal, une coproduction atypique entre trois continents (Amérique du Nord, Asie et Europe), présentée au festival de Toronto en 2016, sortie aux États-Unis en avril 2017, et qui pourrait bien s’avérer le film le plus ludique, délirant et néanmoins sensible de l’été. Son réalisateur, le Cantabre Nacho Vigalondo, peu connu en France puisque ses œuvres sont restées cantonnées au circuit des festivals, s’est forgé une petite réputation dans le champ du cinéma fantastique (Extraterrestre, 2011).

Le film s’ouvre sur deux scènes qui semblent si peu raccorder l’une avec l’autre qu’on les dirait issues de deux films différents. Tout d’abord, un monstre géant fait son apparition dans les rues de Séoul, sous les yeux ébahis d’une mère et de sa petite fille. Puis, nous voilà soudain vingt-cinq ans plus tard, à New York, où Gloria (Anne Hathaway) se fait plaquer par son petit ami Tim (Dan Stevens) pour son alcoolisme intempestif. Elle part alors se mettre au vert dans sa province natale, où elle retrouve Oscar (Jason Sudeikis), un ami d’enfance devenu tenancier de bar. Du film de science-fiction, on vient de basculer inopinément dans une comédie romantique, deux types de récits qui semblent a priori ne pas avoir grand-chose à se dire.

Basculement d’échelle

Alors que le monstre de Séoul ressurgit sur les chaînes télé et les sites d’information, Gloria se découvre sous l’emprise d’un phénomène invraisemblable : c’est elle qui commande les mouvements de la créature, comme s’il s’agissait d’une marionnette. Le moindre geste inconsidéré peut donc la rendre responsable de ravages incommensurables aux antipodes. Vigalondo orchestre ainsi un constant basculement d’échelle au sein de la même histoire, perçue alternativement selon des dimensions microscopiques (un cœur imbibé reconquérant sa souveraineté) et macroscopique (une ville détruite, filmée par les caméras du monde entier).

Sous ses airs d’aimable pochade geek, Colossal brille en fait des nombreuses interprétations qui peuvent s’y lire. Le monstre n’est peut-être qu’une projection des démons alcoolisés de l’héroïne, et Séoul la scène inconsciente où se résolvent ses conflits intérieurs. Mais le film se conçoit aussi comme une réflexion sur le spectacle : ces écrans sur lesquels tout le monde a les yeux rivés pour assister à des scènes de destruction lointaines ne nous renvoient-ils pas à notre propre détachement du monde et à notre propre impuissance ? En dernière instance, la dualité du récit semble surtout concerner notre rapport à l’imaginaire : qu’est-ce que ces créatures numériques – celles des blockbusters et de la culture pop – ont-elles à voir avec notre sentimentalité quotidienne ? Colossal, film intimiste à grand spectacle, réaffirme ainsi la primauté des affects humains, dans une industrie du rêve qui semble en avoir perdu la plus commune mesure.

COLOSSAL - Bande-annonce officielle VF

Film américain, canadien, sud-coréen et espagnol de Nacho Vigalondo. Avec Anne Hathaway, Jason Sudeikis, Austin Stowell, Tim Blake Nelson (1 h 49). Sur le web : sheiscolossal.com, www.facebook.com/SheIsCOLOSSAL