Le sénateur républicain John McCain arrive au Capitole à Washington le mardi 25 juillet. | Andrew Harnik / AP

Le 10 février 2009, le sénateur du Massachusetts, Ted Kennedy, appuyé sur une canne, affaibli par le cancer, était venu apporter le vote décisif pour le plan de relance de son ami Barack Obama. Huit ans plus tard, c’est le sénateur John McCain (Arizona), atteint de la même forme agressive de glioblastome, qui a décidé, mardi 25 juillet, du vote ouvrant la voie à l’abrogation de l’Obamabare.

Le vieux sénateur a offert une victoire importante à Donald Trump, bien qu’il en soit l’un des critiques les plus déterminés au Capitole. Et une leçon de « décence », selon l’expression du New Yorker, à ce président qui, alors qu’il était candidat, avait méprisé les faits d’armes de l’ex-prisonnier au Vietnam, en disant qu’il admirait surtout ceux qui n’avaient « pas été capturés ».

John McCain, 80 ans, aurait pu rester en convalescence à Phoenix (Arizona), où il a été opéré le 14 juillet. Il aurait pu laisser échouer une tentative pour laquelle il n’avait aucune sympathie. Les médecins lui avaient demandé de s’abstenir de prendre l’avion pendant quinze jours. Onze lui ont suffi.

Lundi soir, il a fait savoir qu’il viendrait à Washington pour le vote. Aussitôt, les partisans du maintien de l’Obamacare ont compris que la victoire qu’ils croyaient avoir remportée le 17 juillet, lorsque le sénateur républicain Mitch McConnell (Kentucky) avait pris acte qu’il n’avait pas l’appui de cinquante sénateurs, était compromise. Sur Twitter, des centaines d’Américains l’ont supplié de ne pas renoncer. « Ma mère est morte du même cancer. S’il vous plaît sauvez Obamacare ! »

« J’ai l’air encore un petit plus usé »

John McCain est arrivé au Capitole alors que le scrutin avait commencé. Les caméras l’ont accueilli à sa descente de voiture mais ce n’est que quand il a prononcé son discours que son visage, barré de points de suture au-dessus de l’arcade sourcilière, est apparu en gros plan.

« J’ai l’air encore un petit plus usé », a-t-il grincé. L’assemblée a été émue, autant que soulagée : le grognard républicain n’avait pas changé.

Le sénateur a annoncé son « oui » à la « motion pour avancer ». Un vote crucial alors que deux sénatrices, sur les 52 républicains, restaient opposées au texte. Le vice-président Mike Pence, membre de droit de la chambre haute, a apporté la 51e voix. Et le sénat des Etats-Unis, qui se flatte d’être le plus « grand corps délibératif du monde » a adopté une motion ouvrant l’examen d’une loi sans la moindre idée de son contenu.

Des cris de colère sont montés des galeries : « Kill the bill ! » Tuez le projet de loi ! Suivis, quand le résultat a été acquis, d’un « Shame ! Shame ! Shame ! » Honte aux sénateurs pour avoir déblayé le terrain à des propositions qui risquent de priver d’assurance des millions d’Américains.

Le retournement de situation a montré que le chef de file républicain, Mitch McConnell, avait joué finement sa partie. A ses collègues, il n’a eu de cesse de rappeler qu’ils martelaient depuis sept ans le même slogan : « Repeal » (Abroger). Assorti d’un « replace » avant l’élection de 2016 lorsque beaucoup avaient commencé à dire qu’il ne suffisait pas de détruire et qu’il fallait faire une proposition – comme Barack Obama ne cessait de les y inviter : « Si vous avez une meilleure solution. »

« Un discours héroïque »

Mais depuis 2016, a insisté M. McConnell, les républicains contrôlaient les deux chambres et la Maison Blanche. Il fallait sauter, et tant pis pour le vide. En privé, M. McConnell avait distribué les « carottes ». Chacun aurait son amendement.

Ted Cruz (Texas) pourrait mesurer le soutien à son idée d’assurance « low cost » à couverture minimum pour les jeunes. Les modérés pourraient essayer de limiter les dégâts, côté Medicaid, en réduisant les coupes dans les subventions aux défavorisés.

Donald Trump, piqué d’être accusé de n’être pas assez combatif, avait déployé ses charmes. Placé à déjeuner à côté du récalcitrant Dean Heller, le sénateur du Nevada qui joue sa place en 2018, il avait assuré que son voisin, qui « tenait certainement » à son siège, allait changer d’avis. Lundi, il était en Virginie Occidentale, le fief de la sénatrice Shelley Capito, une autre opposante. Il s’y était fait acclamer par une assemblée de boy-scouts réunis pour leur Jamboree national, en promettant de libérer les Américains du « cauchemar Obamacare ».

Le guerrier McCain ne s’est pas rendu sans une dernière bataille. Lisant son discours, trébuchant parfois, peut-être sous le coup d’un instant d’émotion quand les applaudissements ont éclaté dans les rangs, il a fusillé l’argument de M. McConnell : voter pour le seul fait de voter ? « Parce que c’est mieux que rien ? » D’ailleurs, a-t-il tonné : son vote en faveur du débat ne présageait en rien de la suite, et il était par avance opposé à la « coquille vide » que serait un texte se bornant à éliminer les points phare de l’Obamacare, comme l’obligation de souscrire une assurance santé ou pour l’employeur d’en proposer une (l’option baptisée « skinny repeal »).

Les critiques ont fusé. « John McCain vient de donner un discours héroïque dénonçant la chose terrible pour laquelle il vient juste de voter », s’est extasié le New York Magazine.

«… Les murs. Nous les brisons »

Plus largement, le « maverick » a donné une leçon à ce sénat auquel il se voue depuis trente ans. Ce sénat qui n’a « pas débordé de grandeur récemment », et qui est devenu « plus tribal » que jamais. Où « le fait de gagner » compte plus que la politique en jeu, où l’esprit de coopération a été remplacé par les invectives sur les réseaux sociaux.

« Arrêtez d’écouter les fanfaronnades des grandes gueules à la radio, la télévision, l’Internet. Qu’on les envoie au diable, a explosé l’homme aux 2,3 millions de supporteurs sur Twitter. Notre incapacité est leur moyen d’exister. »

John McCain a rappelé les textes fondateurs de la république, et il a appelé ses collègues à revenir au respect des procédures traditionnelles. A l’estime de soi. « Nous ne sommes pas les subordonnés du président. Nous sommes ses égaux. »

Il a mis des mots sur ce concept d’« Amérique », qui est au centre de la polarisation actuelle. Il lui a fallu douze adjectifs, pas moins : « grande, bruyante, bagarreuse, audacieuse, courageuse, généreuse, magnifique »… Les Etats-Unis sont un pays dédié au principe que tous les hommes sont égaux, a-t-il rappelé. « Nous ne nous cachons pas derrière des murs. Nous les brisons. »

M. McCain a dit qu’il allait rester « quelques jours » à Washington, qu’il avait encore quelques affaires à régler à la commission des forces armées, qu’il préside. Après il retournerait en Arizona pour « traiter [sa] maladie ». Et quand il reviendrait, tel qu’en lui-même, tous ceux qui lui avaient envoyé des compliments le « regretteraient ».

Dans la galerie, Cindy McCain s’est essuyé les yeux. « Monsieur le président, je cède la parole », a -t-il conclu, selon le rituel qui ponctue depuis quelque deux cents ans les discours au Sénat.