Le ministre de l’agriculture, Stephane Travert, le 5 juillet, à Paris. | POOL / REUTERS

La répartition des aides agricoles européennes est un sujet sensible. Le nouveau ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, vient d’en faire l’expérience. Dans un communiqué publié jeudi 27 juillet, il a annoncé « un transfert à hauteur de 4,2 % des montants des crédits du pilier I de la politique agricole commune [PAC] vers le pilier II pour satisfaire les besoins identifiés sur le pilier II d’ici 2020 ».

Une manière de combler en partie le manque de financement des mesures destinées à la politique de développement rural. M. Travert avait indiqué mercredi, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale qu’il se retrouvait devant une « impasse financière de près de 853 millions d’euros ».

Des besoins estimés jusqu’en 2020, qui résultent d’une conjonction de facteurs selon le ministère : extension du périmètre des bénéficiaires de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), montée en puissance de la filière bio ou de dispositifs comme l’assurance récolte mais aussi renforcement de la part de l’Union européenne dans les co-financements, sachant que les mesures du second pilier sont abondées par les régions.

Des décisions qui s’appliqueront en 2018

Autre décision prise par M. Travert. Le « paiement redistributif » du premier pilier reste figé à 10 %. Cette mesure négociée par l’ancien ministre Stéphane Le Foll à Bruxelles, lors de la définition de la PAC 2014-2020, vise à soutenir les petites et moyennes exploitations. L’idée étant de mieux répartir les subsides du pilier I, doté de 7,44 milliards d’euros, destinés au soutien direct aux agriculteurs, avec en particulier le paiement à l’hectare. Le dispositif prévoyait de majorer l’aide versée aux 52 premiers hectares. Une majoration qui devait croître dans le temps. Passant de 5 % de l’enveloppe globale en 2015 à 20 % en 2019.

En 2016, le taux a atteint 10 %. Mais la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les céréaliers réunis au sein de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) ne souhaitaient pas qu’il augmente encore. En 2016, ils ont fait état de la difficulté des céréaliers après une très mauvaise récolte pour obtenir une stabilisation à 10 % en 2017. Ils ont à nouveau demandé de surseoir à la hausse. Le gouvernement a donc tranché en leur faveur, maintenant le niveau une nouvelle fois à 10 % pour 2018.

Ces décisions qui s’appliqueront en 2018 vont être notifiées à Bruxelles. La France devait le faire avant le 1er août. Concrètement, le prélèvement de 4,2 % devrait dégager potentiellement 312 millions d’euros pour contribuer à soutenir, l’an prochain, les mesures de développement rural. Selon le ministère, cette enveloppe supplémentaire sera entièrement consacrée au surcoût du financement de l’ICHN.

« Jeudi noir pour l’agriculture biologique »

Immédiatement après la publication de la décision du ministère, les réactions ont fusé. La FNSEA s’est insurgée contre « un hold-up inacceptable sur les soutiens à l’agriculture » pointant du doigt le prélèvement de 4,2 % et fustigeant le précédent gouvernement pour avoir « laissé en héritage une énorme ardoise de 853 millions d’euros ». Elle estime que le gouvernement aurait du « trouver les ressources dans le budget national ». « Les agriculteurs n’ont pas à supporter une nouvelle fois les conséquences d’une mauvaise gestion budgétaire de l’Etat », estime le syndicat des Jeunes agriculteurs (JA). Même son de cloche chez les céréaliers avec l’AGPB, les producteurs d’oléagineux (FOP), les producteurs de betteraves tous vent debout contre ce reversement.

Les éleveurs laitiers réunis au sein de la Fédération nationale des producteurs laitiers (FNPL) l’ont aussi dénoncé estimant « qu’ils contribueront pour un tiers à cette ponction, pour près de 130 millions d’euros ». Les chambres d’agriculture ont aussi affirmé dans un communiqué avoir milité pour que le transfert d’aides ne soit pas opéré. Elles demandent « aux régions et aux agences de l’eau de prendre leur part dans le financement des mesures de développement rural ».

Pour sa part, le syndicat Confédération agricole, parle de « trahison gouvernementale ». Il s’inquiète de la décision prise par le gouvernement « qui porte un coup fatal à l’emploi agricole, en ne majorant pas davantage les 52 premiers hectares, et donc en défavorisant les fermes les plus pourvoyeuses d’emploi ». Il estime également les moyens mobilisés insuffisants pour faire face aux besoins de financement de l’ICHN, de la bio et des mesures agro-environnementales.

Une position partagée par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) qui chiffrait à 3 % minimum le transfert nécessaire entre le premier et le second pilier de la PAC pour financer l’essor de la seule agriculture biologique. Evoquant un « jeudi noir pour l’agriculture biologique », elle affirme « que la décision du ministre ne prévoit aucun budget pour les aides à l’agriculture biologique ».