Examen du projet de loi « confiance dans l’action publique » à l’Assemblée nationale à Paris, le 26 juillet. | JACQUES DEMARTHON / AFP

« Catastrophique », « dramatique », « du jamais vu »… Il est 1 h 30, vendredi 28 juillet, et les députés enchaînent les superlatifs pour qualifier la séance qui vient d’être levée. L’examen du projet de loi « confiance dans l’action publique » vient à nouveau de virer à la foire d’empoigne au Palais-Bourbon. Des mines défaites s’enfoncent dans la nuit parisienne, atterrées.

Quelques heures plus tôt, les plus optimistes espéraient pourtant terminer l’examen du texte, en deux volets – une loi ordinaire et une loi organique – dans la nuit. L’objectif était ambitieux. En trois jours de débats, les députés n’avaient étudié qu’un tiers des amendements déposés sur ce projet phare du début de quinquennat d’Emmanuel Macron. Les travaux avaient été considérablement ralentis par des incidents de séance. L’Assemblée nationale est un corps très inflammable par les temps qui courent.

Les tensions latentes sur les bancs de l’Hémicycle ont trouvé leur point d’orgue dans la nuit de jeudi à vendredi. Au perchoir, Hugues Renson, l’un des vice-présidents de l’Assemblée, considéré comme l’un des plus solides alors que plusieurs de ses collègues, novices comme lui dans cet exercice, ont connu des déconvenues ces derniers jours. A plusieurs reprises cette semaine, François de Rugy, président de l’institution, est venu reprendre les travaux en main dans des moments d’accrochage avec l’opposition.

Lever la séance ou aller jusqu’au bout ?

Peu après 23 heures jeudi, l’ambiance virait à nouveau électrique. Les députés examinaient un point pourtant loin d’être clivant : l’instauration d’un médiateur du crédit pour faciliter le financement des campagnes électorales. Mais la contestation du vote sur un amendement défendu par le MoDem a à nouveau mis le feu aux poudres. Les députés de La France insoumise (LFI), d’abord, se sont indignés de l’attitude du président de séance, tandis qu’Olivier Faure, patron du groupe Nouvelle gauche (ex-PS), proposait à la ministre de la justice d’autoriser un nouveau vote. Nicole Belloubet s’y est refusée, ne souhaitant pas « s’immiscer dans le fonctionnement interne de l’Assemblée ».

Une heure plus tard, Jean-Luc Mélenchon et les députés de son groupe quittaient théâtralement l’hémicycle. « Franchement c’est saoulant. On vous dérange ? Eh bien débrouillez-vous entre vous », a lancé le chef de file de LFI tandis que ses collègues rangeaient leurs affaires.

La tension n’a pas vraiment eu le temps de retomber. Alors que la nuit avançait, les députés s’interrogeaient. Fallait-il, comme cela a été le cas les jours précédents, lever la séance à 1 heure ? Ou tenter d’aller au bout du texte malgré les tensions latentes ? A minuit, à la faveur d’une suspension de séance, les présidents de groupe sont tombés d’accord. L’examen du premier projet de loi serait bouclé dans la foulée avant une reprise des travaux sur le deuxième texte, la loi organique, vendredi.

Suit un nouvel imbroglio quand Hugues Renson rappelle que conformément à une décision prise par les présidents de groupes en début de semaine, les deux textes ne seront pas votés séparément et que l’adoption définitive n’aura lieu qu’après la fin de l’examen de la loi organique, vendredi. Cette annonce offusque les présidents du groupe Les Républicains (LR) et Nouvelle gauche, Christian Jacob et Olivier Faure qui veulent que leurs députés devant rentrer en circonscription vendredi puissent voter le premier texte.

Le chef de file des socialistes réclame une réunion immédiate de la conférence des présidents pour rediscuter de la décision prise plus tôt dans la semaine. Las. On lui oppose que seul François de Rugy est habilité à prendre une telle décision. « Réveillez-le ! », commence à clamer la droite. On dit le président de l’Assemblée injoignable. « Prenez vos responsabilités ! », exhorte alors Christian Jacob à l’attention de Hugues Renson.

« En quinze ans je n’ai jamais vu ça »

Mais cette fois la majorité, a décidé de se montrer inflexible. Le groupe La République en marche (LRM) est éprouvé par la longueur des débats et agacés par l’attitude de l’opposition à son égard. Pacôme Rupin, l’un de ses vice-présidents, est excédé : « Il y a une remise en cause permanente de notre autorité, ils essaient de nous enfoncer à la seule fin de nous décrédibiliser. » La majorité qui s’efforçait jusque-là de ne pas rentrer dans le rapport de force verbal avec ses adversaires a décidé de sortir de ses gonds. « Je prends mes responsabilités, la séance se poursuit », annonce Hugues Renson, au perchoir, provoquant le départ des députés LR de l’hémicycle, puis la levée de la séance.

Les débats s’en tiendront là pour la soirée, mais en salle des Quatre-Colonnes, où se rencontrent les députés et les journalistes, c’est le bal des esclandres. L’opposition elle non plus ne mâche plus ses mots. Au bord des larmes, la députée socialiste Cécile Untermaier se dit « écœurée » par « l’excès de rigidité » et « l’incompétence » de ses collègues LRM. « C’est catastrophique, j’ai l’impression qu’on abîme l’Assemblée nationale », ajoute-t-elle. « En quinze ans je n’ai jamais vu ça » enchaîne le « constructif » Yves Jégo. « La question c’est où est le ministre des relations avec le Parlement ? Où est François de Rugy ? Où est le président du groupe majoritaire Richard Ferrand ? » interroge-t-il encore, au diapason de députés LR et Nouvelle gauche. « Il n’y a pas de locomotive, l’absence de pilote l’emporte sur le fond des débats. »

Il est bientôt deux heures du matin et un dialogue s’improvise entre Olivier Faure et Pacôme Rupin. « A chaque fois, il y a un groupe qui teste le président de séance », peste ce dernier. « On n’a plus l’âge », lui rétorque le chef de file des socialistes qui ajoute : « Où sont les gens qui connaissent le règlement ? » « On ne va pas se laisser impressionner », poursuit le député macroniste. Dans la nuit, un soutien leur est venu de l’Elysée. « L’opposition qui teste la résistance de la majorité en multipliant les incidents de séance. Technique bien connue politique à l’ancienne » déclarait, dans un tweet, Stéphane Séjourné, conseiller politique auprès du président de la République.

Un mois à peine après un vote de confiance où une grande partie de l’opposition s’était abstenue, voulant « donner sa chance » au premier ministre Edouard Philippe, et dans un contexte où de nombreux députés affichaient leur volonté d’être « constructifs » dans leur travail, jamais la fracture entre la majorité et ses oppositions n’aura été aussi grande.