Les Sénégalais étaient appelés à élire, dimanche 30 juillet, leurs 165 députés . | SEYLLOU / AFP

Près de 6,22 millions de Sénégalais étaient appelés aux urnes, dimanche 30 juillet, à l’occasion d’un scrutin législatif placé sous haute surveillance et à l’issue d’une campagne électorale particulièrement violente. Marquée, aussi, par l’« affaire » des cartes d’identité biométriques que certains électeurs ont dû aller chercher jusque tard dans la soirée de samedi.

Dimanche, l’organisation électorale a encore laissé à désirer. A 11 heures, le vote n’avait pas démarré dans plusieurs villes du pays, notamment dans des centres à Dakar et dans la ville religieuse de Touba, deux localités qui constituent, avec la région de Thiès, le trio démographique et électoral le plus important du pays.

Ce retard était lié à des difficultés dans l’acheminement du matériel électoral sur presque l’ensemble du territoire. Pour ne rien arranger, la forte pluie qui s’est abattue, samedi, en début de soirée sur presque l’ensemble du territoire, a dévasté plusieurs abris provisoires qui devaient servir de bureau de vote.

Un récépissé pour voter, mais pas de nom sur les listes

Très tôt les Sénégalais, sortis massivement, ont pris d’assaut les bureaux de vote, qui ouvraient à 8 heures (heure locale). Au centre de vote de l’école primaire Souleymane Wade Liberté 5, à Dakar, le vote a démarré vers 9 heures. Si certains ont réussi à glisser leur bulletin dans l’urne sans difficulté, ce n’est pas le cas pour d’autres.

Demba Bâ, la soixantaine, n’a pas pu voter parce que son nom ne figurait pas sur la liste. « Je suis là depuis 7 heures, j’ai fait la queue jusqu’à 10 heures et une fois dans la salle on m’a notifié que je ne peux pas voter parce que mon nom n’est pas sur les listes alors que j’ai toujours voté ici. Ce n’est pas sérieux car j’ai présenté mon récépissé et ma carte d’identité numérisée », lance-t- il furieux.

Comme lui, certains électeurs n’ont pu retrouver leurs noms sur les listes parce que, sur les récépissés qu’ils détenaient, il n’était pas fait mention du lieu exact du bureau où ils devaient voter. Le vote avec les récépissés avait été rendu possible, jeudi 27 juillet, par un avis du Conseil constitutionnel saisi dans l’urgence, deux jours auparavant, par le président Macky Sall, après s’être rendu compte que le pouvoir n’était pas en mesure de produire toutes les cartes d’identité biométriques, nécessaires pour le vote.

Samedi, le spécialiste des élections Ndiaga Sylla, contacté par Le Monde Afrique, avait prévenu : « Les électeurs, qui n’ont pas reçu leur carte d’identité Cedeao et qui n’ont pas accès au portail Internet, risquent de ne pas pouvoir localiser leur lieu de vote. »

Les primo-inscrits, qui devaient présenter un « document d’immatriculation » pour voter ont, quant à eux, eu bien du mal à accéder au « certificat d’immatriculation » qui devait leur être fourni par les autorités, en l’absence de cartes biométriques. « Le préfet nous a dit qu’il a arrêté de délivrer les certificats, donc nous n’allons pas voter », regrettait ainsi Abdoulaye 18 ans, rencontré à Pikine au milieu de camarades primo-inscrits comme lui, tous excédés.

L’opposition crie au sabotage

Tour à tour, les leaders de l’opposition ont accusé le pouvoir d’avoir entretenu cette confusion pour truquer les élections en privant une importante partie des Sénégalais de leur droit de vote. Bamba Fall, de la Coalition Manko Taxawu Senegaal, proche du maire de Dakar en prison, Khalifa Sall, a déclaré après avoir voté que l’organisation de cette élection était la plus « cahoteuse », la plus « douteuse » depuis 1960, date d’indépendance du pays.

Très attendu, l’ex-président Abdoulaye Wade, arrivé à son bureau de vote à 14 h 30, a déclaré à sa sortie : « Macky Sall a donné des instructions pour que, dans tous les endroits où il pense que l’opposition pourra gagner, les gens ne votent pas (…) C’est le cas à Touba où j’ai toujours gagné mais aujourd’hui, jusqu’à 14 heures, le vote n’avait pas encore démarré ».

M. Wade a également relevé que « tous les bulletins de tous les candidats ne sont pas présents dans les bureaux de vote ». « Macky Sall c’est comme quelqu’un qui essaie de bloquer la fermeture d’une marmite bouillante et qui fait tout exploser, mais on saura que c’est de sa faute. Il faut que Macky Sall s’en aille car il a prouvé son incapacité », a-t-il ajouté.

Suite aux lenteurs notées sur le démarrage du vote à Touba et au saccage de certains bureaux de votes dans la ville religieuse par des électeurs mécontents de ne pouvoir voter, le gouverneur de la région de Diourbel a décidé de proroger le vote à Touba jusqu’à minuit.

Le pouvoir relativise et appelle au calme

Du côté du pouvoir on s’est félicité du déroulement du scrutin même si les autorités reconnaissent des couacs dans l’organisation du scrutin. « J’ai entendu çà et là des retards, j’espère qu’ils seront vite compensés afin que le bon déroulement du scrutin puisse être opéré sur l’ensemble du territoire national et partout à l’étranger où les Sénégalais sont appelés à se prononcer », a déclaré le président Macky Sall après avoir voté dans sa ville natale de Fatick (centre du pays).

Il en a profité pour lancer un appel à la classe politique :

« Je voudrais rappeler que notre pays est une démocratie que rien ne peut faire revenir en arrière. Cette démocratie est ancrée. Rien ne doit l’entacher. C’est la raison pour laquelle je lance un ultime appel à tous les acteurs de faire confiance au peuple qui a le dernier mot (…). Ce soir nous saurons ce que le peuple dira. »