Montage photographique de l’architecte Olalekan Jeyifous élaboré à partir de clichés des bidonvilles de Lagos et de tours imaginaires. | Olalekan Jeyifous

Retenez bien ce chiffre : 2035. C’est l’année où, en Afrique, il y aura autant de citadins que de gens vivant dans les zones rurales. Une étape symbolique que le continent franchira quatre-vingt-cinq ans après la France, mais avec des paramètres bien différents. Et d’abord celui-ci : l’Afrique s’urbanise à grands pas, du fait de sa croissance démographique et d’un certain exode rural, mais sans que les campagnes ne se vident : elles vont, elles aussi, augmenter en population.

Une vitesse inconnue dans l’Histoire

Bien sûr, les pays les plus développés du continent – Afrique du Sud, Maroc ou Côte d’Ivoire – ont déjà franchi ce seuil, et le Nigeria est sur le point de le faire. Cette transformation s’opère à une vitesse inconnue dans l’Histoire. Le nombre de mégalopoles va doubler, mais ce sont surtout les villes de taille moyenne qui devront absorber le surcroît de population.

Sont-elles prêtes pour ce boom ? Pour le savoir, Le Monde Afrique a envoyé quinze de ses reporters sur un parcours de près de 10 000 km, de Kinshasa, au cœur du continent, à Tanger, aux portes de l’Europe. Une série dont la publication quotidienne commence ce 30 juillet et se terminera début septembre, rendue possible par le soutien de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique).

L’Afrique en villes : le parcours de la série
Durée : 03:55

Ce grand voyage sera ponctué de 28 étapes dans onze pays pour raconter la vie en villes sous toutes ses facettes : santé, environnement, transports – ou plutôt embouteillages –, éducation, alimentation, planification, énergie, etc.

Nous passerons par Bangui, la capitale d’un pays enclavé à l’Etat failli où l’approvisionnement des 700 000 habitants repose presque exclusivement sur deux voies de communication ; Bougangté, la première ville verte du Cameroun ; Lomé, où a été développé l’un des centres d’enfouissement des déchets parmi les plus modernes d’Afrique de l’Ouest ; Ouagadougou, qui réfléchit à un projet de déconcentration de son centre-ville, pour finir à Tanger, secouée de sa léthargie par les grands projets du roi Mohammed VI.

Mais les villes, ce sont aussi des gens. A Kinshasa, cité-Etat de 10 millions d’habitants sans cadastre ni plan de développement, nous croiserons Véro Tshanda Beya, actrice principale de Félicité, le film d’Alain Gomis, qui se déroule dans les faubourgs d’une capitale congolaise douce et impitoyable à la fois. Nous grimperons aussi dans le 4x4 de Josée Muamba, une Kinoise pleine d’ambitions, rédactrice en chef du magazine Bellissima.

Infographie Le Monde

A Douala, nous retrouverons Allan Rudoph, habitant infortuné du Bois des Singes, où se déversent tous les excréments de la capitale économique du Cameroun. Nous l’avions déjà rencontré l’an dernier : hélas, rien n’a changé alors que Douala, qui ne s’était jamais posé de questions existentielles, a triplé de surface et de population depuis 1980. « Comment allons nous conserver l’environnement naturel de ces lieux avec la pression immobilière que vont forcément exercer les couches sociales les plus élevées ? », interroge l’urbaniste Jean Yango.

Des villes nouvelles, des villes propres, il y en a aussi, dans les rêves des architectes du Togo ou du Ghana. Certaines sont en construction comme Zenata, au Maroc. Nous y avons rencontré Mohamed Amine El Hajhouj, directeur général de la Société d’aménagement de la future éco-cité. Il défend un modèle de ville durable pouvant révolutionner la construction des villes nouvelles au Maroc et en Afrique. « Smart-city », sans doute, le terme est à la mode ; mais il y a aussi, pas très loin, des cités pas « smart » du tout comme Tamesna, aux portes de Rabat : pas d’espace public, pas d’équipements collectifs, pas d’entreprises, pas d’activités, pas d’hôpital, peu de commerce, pas de transports en commun. Une cité-dortoir sans vie, sans âme.

Dubaï dans la tête

D’ici quinze ans, les villes du continent pourraient recouvrir 5,87 millions de km² supplémentaires, soit dix fois la superficie de la France. La course est lancée pour contenir et transformer des bidonvilles où s’entassent jusqu’à présent la majorité des citadins. Avec quel modèle ? Certains n’ont que Dubaï en tête, d’autres aspirent à des villes durables et intelligentes qui promettent de résoudre les maux de ces territoires congestionnés à l’extension anarchique.

Certains architectes revendiquent même leur utopie : créer une ville africaine inspirée des habitats et coutumes traditionnelles, conçue par ses habitants et construite par eux. Ce serait pour le Togolais Sénamé Koffi Agbodjinou, qui a fondé l’Africaine d’architecture à Lomé, une façon de réconcilier les Africains avec la ville. Car pour lui, « la colonisation a fait entrer les villes africaines dans une modernité violente et inadaptée ».

Et maintenant, en route !