Contrairement aux idées reçues, c’est bien une exploitation raisonnée et contrôlée de la forêt qui permet de combattre le plus efficacement la déforestation. Cette position est considérée par des organisations de défense de l’environnement comme contradictoire. Or elle ne l’est pas. Pourquoi ? Parce que c’est la pression exercée par le marché local qui représente la plus grande menace pour la forêt tropicale du bassin du Congo, second « poumon vert » de la planète, après l’Amazonie et avant l’Indonésie.

La déforestation en République démocratique du Congo (RDC), le plus grand pays de la région, a connu un taux de 0,34 % par an entre 1990 et 2010, passé depuis à 1 % par an, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle s’explique par la demande des ménages de RDC pour le bois de feu, le bois d’œuvre et les terres cultivables. En 2016, le marché local informel a absorbé plus de 80 millions de mètres cubes de bois. Cette même année, les exportations de bois d’œuvre tropicaux issus des concessions forestières légales s’élèvent à seulement 220 000 m3, indique le ministère congolais de l’environnement.

Selon Tosi Mpanu-Mpanu, négociateur climat de la RDC et président du groupe des pays les moins avancés (PMA) lors de la Conférence de Marrakech sur les changements climatiques (COP 22), en 2016, « les pays d’Afrique centrale sont prêts à protéger la forêt, mais il leur faut d’abord réduire la pauvreté et venir à bout de certaines pratiques : en RDC, où 9 % de la population a accès à l’électricité, 91 % des habitants se tournent vers la forêt pour leur énergie en coupant du bois, souvent de manière illégale. L’agriculture de subsistance itinérante sur brûlis avance ».

Tracer des limites

Dans un tel contexte, combattre la déforestation requiert des plans d’aménagement forestier qui reposent sur deux principes. D’une part, il faut tracer les limites des zones forestières de façon à identifier les zones à protéger absolument du fait de leur haute valeur écologique, comme les forêts marécageuses (les « séries de conservation »). D’autre part, hors de ces zones à protéger, il faut fixer des plans de coupe des arbres permettant le renouvellement de l’écosystème forestier concerné. Dans ces forêts, il ne s’agit jamais de coupes claires, « à blanc », mais de prélèvements de l’ordre d’un arbre par hectare (un terrain de foot) tous les trente ans.

En RDC, de tels plans d’aménagements existent aujourd’hui dans quelques grandes concessions qui assurent 73 % du bois légalement exporté. Il faut aussi concevoir des plans d’aménagement forestier durable, de manière urgente, pour les forêts communales et communautaires. Les collectivités locales doivent fixer les surfaces agricoles pour éviter leur expansion et le recul des forêts. Pour que le système fonctionne, il faut un engagement de très nombreux acteurs, depuis les communautés de base jusqu’au sommet de l’Etat.

Sur ces bases, en RDC, une stratégie de Réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD +) a été validée par différentes instances internationales, dont l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), financée pour l’essentiel par la Norvège depuis 2016. L’Agence française de développement [AFD, partenaire du Monde Afrique] entend contribuer à la mise en œuvre des priorités arrêtées dans ce cadre.

Un « bien commun »

Il s’agit tout d’abord de l’essor d’une filière artisanale légale, durable, contrôlable par des autorités locales renforcées, pour satisfaire la demande nationale. Ensuite, l’objectif est de poursuivre la mise en ordre du système des concessions allouées à des entreprises. Car pour marginal qu’il soit, ce segment a prouvé son efficacité dans les pays voisins de la RDC depuis vingt-cinq ans.

La preuve ? Sur 300 millions d’hectares de forêts dans le bassin du Congo, 31 millions d’hectares se trouvent sous concessions formelles. Les deux tiers, 20 millions d’hectares, sont exploités dans le cadre de plans d’aménagement forestier qui comportent, outre un zonage et des coupes raisonnées, des obligations en termes d’emplois et d’équipements collectifs comme les écoles et les dispensaires, qui n’existeraient pas autrement dans ces zones reculées.

L’exploitation illégale des forêts mozambicaines par des entreprises chinoises
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Dans un pays dont on sait les difficultés, la Centrafrique, toutes les concessions forestières font l’objet d’un plan d’aménagement. Le taux de déforestation net annuel y a été stable de 1990 à 2005, à 0,06 %. Au Gabon, dont 44 % du territoire est couvert par des concessions, le taux de déforestation entre 2000 et 2010 n’a pas dépassé 0,004 % par an, selon « L’état des forêts du bassin du Congo en 2015 », qui s’appuie sur de nombreuses références.

Il ne s’agit donc pas de promouvoir une exploitation « industrielle » prédatrice, mais de mobiliser tous les acteurs, de l’agriculteur à l’entrepreneur forestier, du maire au garde forestier pour la gestion de leur « bien commun » : des forêts qu’il faut connaître, respecter et gérer, si on prétend les protéger.