Au numéro 148 de la rue de Tolbiac (13e arrondissement de Paris), la façade de l’immeuble est intacte, seul le porche est décoré d’une « Santa Muerte » revisitée par le graffeur Jallal. | SOLÈNE L’HÉNORET / Le Monde.fr

Il ne leur reste plus qu’une dizaine de jours avant d’être expulsés du bâtiment K13. La vingtaine de personnes, qui occupe depuis janvier cet immeuble, situé au numéro 148 de la rue de Tolbiac, dans le 13e arrondissement de Paris, est sommée de quitter les lieux avant le 10 août.

Situé dans un arrondissement réputé pour ses immenses fresques commandées à des artistes de rue (ou street artists) par la Mairie, cet immeuble présente une façade intacte. Seul le porche est repeint en violet. Sur les volets du rez-de-chaussée, une jeune fille toise les visiteurs. Avec ses grands yeux bleus, aux contours outrageusement maquillés de vert, et sa bouche bardée de point de suture, la Santa Muerte revisitée par le graffeur Jallal donne le ton.

Mais c’est à l’intérieur que se trouve la partie cachée de l’iceberg. En pénétrant dans le hall d’entrée, les visiteurs sont accueillis par Mère Térésa, l’abbé Pierre et Coluche. Et lorsqu’ils s’enfoncent un peu plus, ils découvrent une multitude signatures d’artistes, comme Rebus, Crey ou Lady K.

De la cage d’escalier aux murs des appartements en passant par les toits de l’immeuble, portraits de femmes, d’animaux, de personnages en tout genre, recouvrent chaque recoin. Pourtant ici, la Mairie n’a passé aucune commande. Et c’est bien là le problème.

Dans le hall d’entrée du 148, rue de Tolbiac dans le 13e, les visiteurs sont accueillis par Mère Térésa, l’abbé Pierre et Coluche. | SOLÈNE L’HÉNORET / Le Monde.fr

Le bâtiment était vide depuis trois ans

Selon les membres de K13, les appartements étaient à l’origine proposés comme logement de fonction aux salariés d’Enedis, anciennement ERDF, qui n’en est pas propriétaire. Le 148, rue de Tolbiac est mis à la disposition de la société d’énergie, en sa qualité de concessionnaire de la Ville de Paris, jusqu’en 2027. Le bâtiment n’étant plus aux normes, il était inhabité depuis trois ans.

En octobre 2016, l’immeuble a été ouvert sans autorisation par l’association Action concrète. Pour y organiser des manifestations d’initiation et de sensibilisation à la culture urbaine, Action concrète a fait appel à Village 13, une association créée en 2010 par Wilfried Devaux, alias « Sure », pour lui permettre d’encadrer les jeunes du quartier.

De la cage d’escalier, aux murs des appartements, en passant par les toits de l’immeuble, portraits de femmes, d’animaux, de personnages en tout genre, recouvrent chaque recoin. | SOLÈNE L’HÉNORET / Le Monde.fr

Depuis le mois de janvier, les cinq appartements sont squattés : trois ateliers de graff, un de tatouage, un studio d’enregistrement semi-professionnel, le reste en lieu de vie. Durant cette période, le lieu, ouvert à tous, a proposé trois journées portes ouvertes et une exposition.

Une douzaine de clips ont également été tournés sur place, ainsi qu’une cinquantaine de morceaux enregistrés. « Je récupère les jeunes dans la rue et je leur propose de faire du graff ou de la musique, dans le studio d’enregistrement qu’on a constitué au premier étage, précise-t-il. J’en ai fait des conneries plus jeune et je veux leur proposer autre chose », explique Wilfried Devaux.

Seulement Enedis ne voit pas les choses du même œil. Selon la société d’énergie, les premiers occupants de l’immeuble « sont entrés par voie de fait, en procédant au forçage de la porte et en changeant le verrou de chaque appartement occupé ».

Par ailleurs, elle reproche aux occupants d’être « à l’origine de nuisances sonores diurnes et nocturnes, dénoncées par plus d’une dizaine d’occupants de l’immeuble mitoyen ».

« Ce qu’ils font ici, c’est de la création »

Le 19 juillet, le tribunal d’instance du 13e arrondissement de Paris a prononcé l’expulsion des occupants dans un délai de quinze jours. Et, depuis, le moral a été sérieusement écorné à K13. Pour autant, l’association Village 13 tente de mobiliser les élus de l’arrondissement, ainsi que les habitants du quartier, afin de défendre, en plus de la dimension artistique, l’utilité sociale de l’occupation actuelle de l’immeuble.

« Avec le squat, on a récupéré des gens sans domicile, dont deux familles avec enfants de 5 ans et 7 mois, et trois réfugiés politiques, détaille Wilfried Devaux. Je ne peux pas les laisser tomber. »

Le 19 juillet, le tribunal d’instance du 13e arrondissement de Paris a prononcé l’expulsion des occupants de K13 dans un délai de quinze jours. | SOLÈNE L’HÉNORET / Le Monde.fr

Vendredi 28 juillet, ils ont appelé les habitants du quartier à manifester devant la mairie. Sylvie Quémener, qui vit à un pâté de maison de la rue de Tolbiac, à la Poterne des Peupliers, a répondu présente à leur demande de soutien : « J’ai participé à l’exposition début juillet et présenté plusieurs toiles, témoigne-t-elle. Je trouve le lieu chouette. Il offre la possibilité de faire beaucoup de choses. Il n’est pas formel et il y a une véritable liberté d’expression. »

Annie Panetto, une autre habitante du quartier, est également venue devant la mairie. Son petit-fils a participé à la mi-juillet à un atelier mené par Karim, qui a montré aux enfants des techniques de graffiti : « Je sais bien que mettre à disposition un immeuble de cinq étages, c’est compliqué, reconnaît-elle. Mais ils ne font pas de dégâts. Ce qu’ils font ici, c’est de la création. »

Cette action, au cours de laquelle Miaou2, Rebus et Movy ont réalisé un graff sur une banderole, a permis aux deux familles sans domicile d’avoir un rendez-vous pour faire une demande de logement social.

Selon l’avocate de Village 13, Emilie Bonvarlet, aucun projet n’est prévu par Enedis pour l’immeuble après l’expulsion. « C’est assez scandaleux de laisser cet immeuble être muré. C’est un abus de droit de laisser un lieu à l’abandon, explique-t-elle. Les activités mises en œuvre par les occupants durant ces derniers mois mériteraient de pouvoir perdurer, notamment celles à destination de la jeunesse du quartier. »

De son côté, l’avocat d’Enedis, sollicité par Le Monde, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Village 13 regrette qu’aucun graffeur du quartier ne participe au street art dans les rues du 13e arrondissement : « On est obligé de faire des actions comme ça pour avoir de la reconnaissance, alors qu’on est prêt à s’investir pour le quartier, s’agace Wilfried Devaux. Enedis nous accuse de dégrader alors que la plupart des artistes d’ici ont participé au prix du graffiti organisé par la Fondation EDF ! Quand ça les arrange, on est des artistes et quand ils veulent récupérer leur fric, on est des voyous. »

Le squat K13, un lieu de création menacé