Bruno Le Maire, le ministre français de l’économie et son homologue italien, Pier Carlo Padoan, à Rome, le 1er août. | Gregorio Borgia / AP

La photo dit tout. Côte à côte au sortir d’un grand bureau de Rome, Bruno Le Maire et Pier Carlo Padoan se serrent la main devant leurs plus proches collaborateurs. Le ministre français de l’économie sourit aux photographes, l’œil vif. Son homologue italien arbore sa mine des jours sombres. Visage fermé. Comment mieux résumer la rencontre qui s’est tenue mardi 1er août pour tenter de recoller les pots cassés entre la France et l’Italie sur le dossier STX ?

Moins d’une semaine après l’annonce de la nationalisation temporaire des chantiers navals de Saint-Nazaire, empêchant la prise de contrôle par l’industriel italien Fincantieri, les deux pays ont renoué le dialogue. Mieux : dans le communiqué final, les deux gouvernements insistent sur leur intention commune de mettre fin à la brouille et de « dépasser » leur différend. Ils se donnent même un calendrier. Jusqu’au sommet franco-italien prévu à Lyon le 27 septembre, la France promet de ne pas ouvrir le capital des chantiers à des « parties tierces », l’alliance italienne restant « l’option privilégiée pour le futur de l’entreprise ».

Mais, à l’image de la colère à peine contenue de M. Padoan, l’Italie ne semble pas prête dans l’immédiat à oublier l’affront et accepter un compromis. Le communiqué commun rappelle d’emblée les faits : « L’Etat français a décidé d’exercer son droit de préemption sur les actions de STX France, le gouvernement italien regrette profondément cette décision. »

Changement de cap

Pour l’heure, le gouvernement italien n’envisage pas de renoncer aux termes de l’accord négocié en avril avec le gouvernement Cazeneuve et remis en cause par le président Emmanuel Macron, et surtout au point le plus problématique pour Paris : le contrôle majoritaire de STX par l’Italie. « Fincantieri doit avoir au minimum plus de 50 %, vu que les Coréens » qui contrôlaient jusqu’à présent les chantiers français « avaient les deux tiers » du capital de STX France, estime le ministre italien. Pour Paris, au contraire, il n’est pas question que l’Italie détienne plus de 50 % des chantiers.

Côté français, on justifie le changement de cap opéré en juin en incriminant le gouvernement précédent. Selon un diplomate, l’accord franco-italien conclu en avril était « bancal », offrait peu de garanties sur l’emploi et faisait peu de cas des intérêts stratégiques de la France, en particulier en matière de sécurité nationale et de transferts de technologie. « Saint-Nazaire est le seul endroit en France où l’on pourrait construire la coque d’un deuxième porte-avions, et c’est une décision stratégique qu’un prochain président français pourrait être amené à prendre dans les dix prochaines années », poursuit le même diplomate.

Sortir de la crise par le haut

Quant au sud-coréen STX, il contrôlait effectivement le capital sans que la France trouve à y redire. Mais la situation était très différente, plaide Bruno Retailleau, le président (LR) du conseil régional des Pays de la Loire : « Les Coréens étaient des partenaires dormants, alors que Fincantieri est le concurrent le plus redoutable des chantiers de Saint-Nazaire. »

Afin de sortir par le haut de la crise, les diplomates français n’ont pas ménagé mardi leurs efforts pour esquisser les contours du futur géant européen de la construction navale, civile et militaire, que Paris et Rome semblent d’accord pour appeler de leurs vœux. Un « leader européen global » à constituer en réunissant les forces de Fincantieri, de Saint-Nazaire et du champion militaire français Naval Group (ex-DCNS).

Problème : la mise en place d’un tel projet suppose au départ un minimum de confiance entre les partenaires. C’est justement de ce côté que les dommages semblent les plus profonds. Déjà irrité par l’activisme diplomatique de la France en Libye, jugé par trop solitaire, et le refus catégorique opposé par Paris aux demandes exprimées par l’Italie d’un soutien concret dans la crise migratoire, le gouvernement Gentiloni ne semble pas disposé à lâcher prise sur STX.

« S’il n’y avait que la direction opérationnelle de Fincantieri à convaincre, le nouvel accord serait signé sans difficulté, affirme le même diplomate français. Mais c’est du côté politique que ça coince, et les élections générales, en Italie, sont dans moins de six mois… » Côté italien, les accusations d’arrière-pensées politiques sont remarquablement symétriques. Les deux mois de discussions qui s’annoncent ne seront pas de trop pour dénouer les tensions.