Des habitants de Caracas attendent leur tour pour voter à l’élection de l’Assemblée constituante, sous des portraits du héros de l’indépendance vénézuélienne Ezequiel Zamora et de l’ex-président Hugo Chavez, le 30 juillet. | Ariana Cubillos / AP

Y a-t-il eu fraude ? La procureure générale du Venezuela, Luisa Ortega, a annoncé mercredi 2 août qu’elle avait ouvert une enquête sur les suspicions de manipulation des résultats de l’élection de l’Assemblée constituante de dimanche. Quelques heures plus tôt, l’entreprise Smartmatic, qui fournit machines à voter et assistance technique au Venezuela, avait accusé les autorités électorales du pays d’avoir tronqué les chiffres. « Nous estimons que la différence entre la participation réelle et celle annoncé par les autorités est d’au moins 1 million de voix », a déclaré le président de la firme, Antonio Mugica, au cours d’une conférence de presse donnée à Londres, mercredi matin. Smartmatic travaille depuis 2004 au Venezuela, où le vote est complètement automatisé.

« Nous sommes face à un fait inédit, grave et qui constitue un délit », a affirmé Luisa Ortega, fidèle d’Hugo Chavez devenue très critique du pouvoir en place, à la chaîne américaine CNN. Lundi, celle que le gouvernement voudrait destituer avait dénoncé « l’ambition dictatoriale » du président Nicolas Maduro.

Ce rebondissement n’est pas pour calmer les esprits dans un pays secoué depuis quatre mois par de violentes manifestations antigouvernementales (leur bilan s’élève, de source officielle, à 121 morts, dont au moins 15 durant la seule journée de dimanche). L’opposition, qui a boycotté l’élection de dimanche, a appelé à une nouvelle manifestation jeudi 3 août à Caracas. Initialement prévue pour mercredi, l’installation de la Constituante et de ses 545 membres été repoussée à vendredi.

Sanglant week-end électoral au Venezuela
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Du Canada à l’Argentine en passant par les Etats-Unis, la plupart des pays du continent ont refusé de reconnaître la légitimité de la nouvelle Assemblée. Ils s’inquiètent de voir la Constituante court-circuiter l’Assemblée nationale (ou l’opposition est majoritaire) et renforcer encore les prérogatives du parti au pouvoir. Mardi, deux dirigeants d’opposition assignés à résidence, Leopoldo Lopez et Antonio Ledezma, ont été arrêtés à leur domicile et reconduits en prison.

« La fraude dénoncée par Smartmatic constitue une tache de plus sur le processus de la Constituante, qui a été mal engagé et qui est désormais profondément discrédité », explique Luis Lander, le directeur de l’Observatoire électoral vénézuélien, une ONG indépendante des partis politiques. De l’avis de ce professeur de sociologie, « les autorités électorales devraient annuler le scrutin ». Mais ce n’est pas l’intention de la présidente du CNE, Tibisay Lucena, qui a qualifié d’« irresponsables » les accusations de Smartmatic et évoqué la possibilité de poursuivre l’entreprise en justice. Selon la presse vénézuélienne, les cadres techniques de Smartmatic en poste à Caracas auraient quitté le Venezuela dans la matinée de mercredi, avant l’annonce faite par M. Mugica à Londres.

Récession sans précédent

L’opposition ayant appelé à ne pas se rendre aux urnes le 30 juillet, la participation au scrutin est l’indicateur qui pourrait permettre de mesurer le soutien dont bénéficie ou non l’équipe chaviste au pouvoir. Mme Lucena avait annoncé dimanche soir que 8,1 millions d’électeurs s’étaient rendus aux urnes. « Un chiffre historique », avait souligné M. Maduro, mais immédiatement contesté par les opposants. Exprimé en pourcentages, il représente un taux de participation de 41,5 %. Le CNE n’a pas publié le nombre de votes blancs qui, selon le juriste Eugenio Martinez, « permettrait d’évaluer le nombre d’électeurs qui ne sont allés voter que par peur de perdre leur emploi ou leurs prestations sociales ».

Pour tenter de contrer l’initiative d’une Assemblée constituante, la coalition d’opposition (Table de l’unité démocratique, MUD) avait tenu, le 16 juillet, sa propre consultation électorale. Ce scrutin informel, organisé sans le concours des autorités électorales, avait mobilisé plus de 7 millions de citoyens, selon les organisateurs. Chiffre évidemment réfuté par le pouvoir.

« Aucun chaviste qui se respecte ne va croire que Nicolas Maduro a obtenu le même nombre de votes qu’Hugo Chavez en 2012 », considère, pour sa part, Nicmer Evans, tête visible des « chavistes critiques », ces fidèles de la révolution bolivarienne qui ont pris leurs distances avec le gouvernement de M. Maduro. Depuis la mort de M. Chavez, décédé début 2013, et la chute des prix du pétrole en 2014, le pays est plongé dans une récession économique sans précédent.

Hier décriée par une opposition peu encline à accepter les victoires électorales du chavisme, Smartmatic jouit d’une solide réputation internationale. « J’ai toujours défendu son travail, rappelle Luis Vicente Leon, directeur de l’institut de sondages Datanalisis. Le problème de la démocratie au Venezuela n’a jamais résidé dans le système de vote automatisé, ni dans le décompte des voix. » M. Mugica a défendu le vote électronique : « C’est parce qu’il existe au Venezuela que nous avons pu détecter la fraude », a-t-il expliqué.

A la question de savoir s’il avait informé les autorités vénézuéliennes avant le public, le président de Smartmatic a répondu : « Il ne nous a pas semblé correct d’alerter les autorités du CNE avant de faire cette déclaration. Nous pensions que ce que nous avions à dire n’allait pas leur plaire. » Il a vu juste : Pour M. Maduro, « l’imbécile à la tête de Smartmatic a agi sous la pression des Américains et des Britanniques ».

Pour l’ex-ministre d’Hugo Chavez Maripili Hernandez, « peu importent les chiffres : ce que les deux récents scrutins ont montré, celui du 16 juillet [organisé par l’opposition] et celui du 30, c’est que des millions de Vénézuéliens veulent voter, et ne veulent pas de la violence comme méthode politique ».