Ali Feruz au tribunal de district de Basmanny, à Moscou, le 1er août. | Elena Kostyuchenko/Novaïa Gazeta

Annoncée comme imminente, l’expulsion vers l’Ouzbékistan d’un collaborateur du quotidien russe Novaïa Gazeta inquiète grandement ses collègues et les organisations de défense des droits humains, qui craignent qu’Ali Feruz, son nom de plume, y soit torturé par les services de sécurité.

Mardi 1er août, un tribunal moscovite a ordonné l’expulsion immédiate du journaliste. Celui-ci a depuis lors été placé en centre de rétention, et son départ paraît imminent. Selon la cour, Khudoberdi Nurmatov — son nom à l’état civil — a violé les règles migratoires de la Fédération de Russie.

Le jeune homme de 30 ans est un ressortissant ouzbek, installé en Russie depuis 2011, après avoir fui son pays deux ans plus tôt. Ses demandes d’asile ou de protection temporaire en Russie ont été rejetées à deux reprises, des décisions à chaque fois cassées par les instances d’appel. Sa dernière demande était encore en cours d’examen au moment de l’avis d’expulsion, note son avocat, qui a fait appel et espère pouvoir saisir en urgence la Cour européenne des droits de l’homme.

La torture, une pratique courante

Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch, se sont émues de cette expulsion annoncée, notant que la torture était une pratique courante en Ouzbékistan et qu’Ali Feruz avait de sérieux risques de s’y voir soumis.

Le journaliste collabore depuis janvier 2016 au quotidien Novaïa Gazeta, l’un des derniers journaux russes indépendants, célèbre notamment pour avoir été celui d’Anna Politkovskaïa, spécialiste des guerres tchétchènes, assassinée en 2006. Il y couvre les questions relatives à la discrimination des homosexuels, les crimes raciaux et les conditions d’existence des travailleurs migrants en Russie.

Il a aussi écrit sur des cas d’enlèvement de réfugiés ouzbeks sur le territoire russe, un thème particulièrement déplaisant pour Tachkent. Ouvertement homosexuel, il collabore également avec Amnesty depuis 2015.

L’inquiétude des ONG et des collègues d’Ali Feruz tient aussi à son passif vis-à-vis des services de sécurité ouzbeks, le SNB, qui l’avait arrêté en septembre 2008. Selon ses défenseurs, Ali Feruz avait alors été battu et sa famille menacée, le SNB exigeant sa collaboration et des informations sur certains de ses amis. Il avait alors fait mine d’accepter, avant de fuir vers le Kirghizistan, puis le Kazakhstan et finalement la Russie.

Requête à Vladimir Poutine

Dans ce contexte, et même si les expulsions de ressortissants de pays d’Asie centrale ne sont pas rares en Russie, ses collègues estiment qu’Ali Feruz a été spécifiquement visé. « Ali a été arrêté une première fois en mars précisément devant l’école musicale où il se rendait, et interrogé pendant douze heures par des officiers de différentes agences. Il a identifié un agent du SNB parmi les personnes présentes », rappelle Anna Baydakova, journaliste à la Novaïa Gazeta.

Le rédacteur en chef du journal, Dmitri Mouratov, a adressé une requête au président russe, Vladimir Poutine, demandant son soutien, mais cette initiative risque de peser peu face au poids des relations russo-ouzbèkes.