Un jeune bélouga nage avec un adulte dans un aquarium de Chicago, aux Etats-Unis, le 20 novembre 2012. | SCOTT OLSON / AFP

Une baleine bélouga de quelques années, prisonnière d’un filet, gît sur le pont d’un bateau rouillé venu accoster dans un port de l’Extrême-Orient russe. « Ne nous oublie pas, sale pute ! », lui crie un marin. A côté du jeune mammifère marin, trois autres bélougas et quelques phoques suffoquent sous les cris de ceux qui les ont pêchés, d’après des images d’un documentaire russe.

Ce film, intitulé Né libre, diffusé en 2017, met en lumière le manque de transparence et de contrôle du commerce des mammifères marins, ayant permis à la Russie de devenir le principal fournisseur de certaines espèces maritimes aux aquariums du monde entier, notamment en Chine.

« Système corrompu »

« Nous avons commencé à tourner un film sur les aquariums, mais je ne pouvais pas imaginer l’ampleur du business, à quel point ce système était corrompu », témoigne la réalisatrice, Gaïané Petrossian. Chaque année, le gouvernement russe autorise la capture de 150 bélougas pour des zoos et des océanoriums, rappelle Dmitri Glazov, vice-président de l’association Conseil pour les mammifères marins.

Il délivre aussi des autorisations pour la capture d’une dizaine d’orques, des animaux très demandés, pour le prix de 1 million de dollars (850 000 euros) par tête, selon M. Glazov. La Russie a officiellement exporté 91 mammifères marins vivants, parmi lesquels des phoques, des baleines et des dauphins, dont 84 ont été vendus à la Chine depuis 2016, selon la Douane russe.

Mais les militants de la cause animale affirment que le nombre d’animaux pêchés est bien plus élevé. D’après eux, les quotas, octroyés officiellement à des fins éducatives et scientifiques, cachent des pêches à but commercial. « Si on capture une orque à des fins éducatives et culturelles en Russie et que l’orque est ensuite vendue en Chine, c’est déjà contre la loi », souligne l’avocat Maxime Kroupski, qui aide les chercheurs opposés au commerce des animaux.

Espèces potentiellement menacées

Même si les orques et les bélougas ne figurent pas pour l’instant sur la liste des espèces en danger, les chercheurs russes redoutent que leur nombre ne chute drastiquement. « Pour plusieurs espèces de mammifères marins, nous ne savons même pas quel est leur nombre, car nous n’avons pas mené d’étude sur ce sujet depuis l’époque soviétique », regrette M. Glazov.

Selon une estimation datant de 2010, il existe deux groupes, séparés, de bélougas dans l’Extrême-Orient russe. Et pour assurer leur reproduction, il ne faudrait pas en capturer plus de quinze de chaque groupe par an. Mais en réalité, les chasseurs se concentrent sur le seul groupe vivant dans la mer d’Okhotsk, au nord du Japon, et capturent jusqu’à 80 animaux en une seule saison, essentiellement de jeunes femelles indispensables pour la reproduction de la population, affirme M. Glazov.

Pour les orques, la chasse menée avec l’autorisation des autorités pose également un problème, d’autant plus que les orques capturées proviennent d’une variété très rare qui mange des mammifères marins plutôt que du plancton. Le nombre de cette espèce, qui vit dans l’Extrême-Orient russe, ne dépasse pas « quelques petites centaines », estime Erich Hoyt, de l’Association pour la sauvegarde des baleines et des dauphins.

Durée de vie écourtée

Alors que la présence de dauphins dans des parcs aquatiques ou aquariums est de plus en plus réglementée dans de nombreux pays, notamment occidentaux, la Chine, elle, continue à exploiter des mammifères marins, qui viennent principalement de Russie. De nouveaux aquariums ont ainsi ouvert en Chine, comme le parc Chimelong Ocean Kingdom où neuf orques russes destinées à des spectacles dans l’eau ont été dévoilées cette année.

Or, à la différence des autres animaux, les orques, comme les bélougas, mammifères très intelligents capables de parcourir de longues distances, ont une durée de vie très courte en captivité, selon certaines études.

Une forte controverse concernant leur bien-être en captivité, ainsi que plusieurs cas de meurtre des entraîneurs par les orques, connus également comme baleines tueuses, ont poussé des aquariums, comme SeaWorld aux Etats-Unis, à ne plus les utiliser dans leurs spectacles. « Jusqu’à ce que nous connaissions leur nombre exact, il faut introduire un moratoire sur la capture de tous les mammifères marins » en Russie, estime Dmitri Glazov.