Siège d’Airbnb à San Francisco, en 2016. | GABRIELLE LURIE / REUTERS

Arrivée discrètement au début de 2011 à Paris, la plate-forme de locations saisonnières est devenue, six ans plus tard, incontournable de l’offre touristique française. Au point d’être aujourd’hui constamment sous le feu des critiques, des hôteliers d’abord, qui jugent cette concurrence déloyale, mais aussi des pouvoirs publics. Ces derniers accusent Airbnb d’inciter les propriétaires à sortir leur bien du marché locatif pour le proposer à l’année sur le marché bien plus juteux de la location de courte durée. Des accusations que la plate-forme californienne réfute, sans pour autant accepter de donner son chiffre d’affaires ni la part de revenu généré par les hébergeurs louant à l’année.

Afin d’enquêter sur les utilisateurs de Airbnb, Le Monde a étudié plus de 144 300 annonces réparties dans vingt villes françaises, soit 36 % du total des annonces françaises sur Airbnb. Parmi ces offres, une sur cinq est aujourd’hui émise par un multipropriétaire, parmi lesquels on trouve un certain nombre de professionnels. On est loin, dans ces cas, de l’image sur laquelle communique Airbnb : un propriétaire s’absentant pendant un certain temps de son logement – le temps de vacances par exemple – et se décidant à le proposer en location. L’enquête que nous avons réalisée en collaboration avec les rédactions allemande de la Süddeutsche Zeitung, belge de De Tijd, néerlandaise de Trouw.nl et le journaliste d’investigation suisse François Pilet permet de lever en partie le voile sur un marché dont l’opacité profite surtout aux gros loueurs, dans les grandes villes comme dans les stations balnéaires.

Paris pèse à elle seule pour 43 % des annonces de logements entiers proposés dans les dix plus grandes villes françaises

En cinq ans, Airbnb a su s’imposer sur le marché de la location de courte durée, d’abord à Paris, puis dans les grandes villes françaises. Après avoir conquis les stations balnéaires, la plate-forme californienne souhaite maintenant se développer dans les zones rurales.

Paris reste néanmoins une importante source de profits pour Airbnb. La capitale aurait rapporté à l’entreprise américaine entre 8 millions et 18 millions d’euros pour le seul mois de juin.

 

Plus de 2 200 euros par mois en moyenne pour les hébergeurs louant à l’année

Qu’ils soient professionnels ou non, certains hébergeurs ont fait d’Airbnb leur principale source de revenus. Une partie d’entre eux ne met à la location qu’un seul appartement – souvent un studio – tout au long de l’année. D’autres deviennent de véritables agences, gérant parfois plus de 120 logements.

Une activité pas toujours légale, la location d’un logement plus de cent vingt jours par an étant réglementée, particulièrement dans les grandes villes.

 

Concierges, blanchisseurs, dépanneurs, les grands oubliés du système Airbnb

Si les multipropriétaires vivent très bien de la location sur Airbnb, les petites mains qui s’activent entre deux voyageurs ne récupèrent qu’une partie infime des bénéfices.

Pour trouver des clients, certains précaires passent par des agences, comme Bnbsitter. Chaque prestation, check-in, check-out, petit ménage, est facturée 20 euros, sur lesquels la start-up prélève 6 euros. Avec les 14 euros restants, le concierge doit couvrir l’ensemble de ses charges sociales, assurance, smartphone, transports…

 

Législation : le point de repère des « 120 jours » pour les particuliers

L’engouement pour Airbnb a poussé les Etats à légiférer. En 2014, la loi ALUR (accès au logement et urbanisme rénové) définit les contours de la législation actuelle, limitant à moins de cent vingt jours par an la location de sa résidence principale. En 2016, la loi pour une République numérique modifie le cadre réglementaire pour autoriser les villes de plus de 200 000 habitants à obliger tous les hébergeurs à s’enregistrer en mairie. Des dispositions peu contraignantes au regard du droit international.

 

Airbnb France : « Depuis juin 2016, nous avons distribué 1 milliard d’euros aux hôtes »

Emmanuel Marill, directeur général de la filiale française et belge, a accepté de répondre aux questions du Monde concernant la stratégie de développement de l’entreprise, ses revenus et ses rapports – souvent tendus – aux pouvoirs publics.

 

Airbnb a aussi conquis les autres capitales européennes

Ailleurs en Europe, une part importante des hébergeurs louent leur logement plus de soixante jours par an. Ils représentent 42 % des annonces aux Pays-Bas, 40,1 % en Belgique, 35,2 % en Allemagne, 33,2 % en France, 32,8 % en Suisse et dans le monde entier.

Les multipropriétaires ne sont pas en reste : en France, comme dans les dix plus grandes villes allemandes, près d’un hôte sur cinq (18 %) est un multipropriétaire.

Les législations pour contrer la professionnalisation des hébergeurs sur Airbnb se développent de plus en plus. Sans systématiquement être suivies d’effets. Dans les Flandres belges, le journal De Tijd a estimé que 85 % des annonces ne respectaient pas les lois régionales. Depuis le mois d’avril, celles-ci obligent les hébergeurs à s’inscrire auprès de leur mairie et à faire figurer leur identifiant sur leur annonce.