Plantation de thé à Munnar, en Inde. | GLOWFORM / Flickr

Il est considéré comme le champagne des thés noirs. Pourtant, le thé Darjeeling pourrait disparaître du marché mondial pour quelque temps. En cause, un conflit séparatiste dans les contreforts de la partie indienne de l’Himalaya où sont cultivés les arbres à l’origine du prestigieux breuvage.

Deuxième producteur de thé mondial, l’Inde est le seul pays à produire du thé Darjeeling, du nom d’une ville du Bengale-Occidental, dans le nord du pays. Pendant la saison des récoltes, de juin à août, quelque 8 000 tonnes de thé sont habituellement récoltées dans les dizaines de plantations afin d’alimenter le marché mondial, et notamment européen.

Mais la région est secouée par un conflit entre les Gorkhas, une ethnie d’origine népalaise, et le gouvernement du Bengale occidental qui touche de plein fouet les plantations de thé. En effet, la majorité des ouvriers dans les plantations de thé Darjeeling appartiennent à cette ethnie. Depuis plusieurs semaines, ils ont décidé de cesser la récolte et d’appeler à la fin de la production de thé.

Résultat, seulement 140 tonnes de cette variété de thé ont été produites en juin, contre 1 330 tonnes en juin 2016, selon Tea Board India, l’instance de régulation du gouvernement, soit une baisse de 90 %.

« La récolte de cette année est perdue », estime Sanjay Mittal, directeur du domaine de thé Ambiok, l’un des 87 domaines autorisés à produire du thé Darjeeling. Si la grève se poursuit encore quelques mois, avertit Ankit Lochan, président de l’association de négociants en thé Siliguri, « presque 50 % du domaine sera fermé pendant au moins deux ou trois ans ». Cette année, seuls 20 % à 30 % de la production ont été récoltés, a-t-il déploré.

Un conflit qui dure depuis des décennies

Depuis le début de juin, des affrontements et des incendies criminels dans la montagne de Darjeeling ont entraîné la fermeture d’entreprises et d’écoles et obligé des milliers de touristes à fuir. Des manifestants ont ciblé le « Toy train » himalayen, une liaison ferroviaire reliant Siriguri à Darjeeling sur 78 km, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Deux stations de cette ligne ont été ravagées par des incendies criminels.

A l’avant-garde de l’agitation séparatiste, le mouvement Gorkha Jamukti Morcha (GJM) qui accuse la population de langue bengalie d’avoir exploité leurs ressources, et de leur avoir imposé leur culture et leur langue.

Ils font campagne depuis des décennies pour sortir la région de l’Etat du Bengale occidental et obtenir leur propre Etat au sein de l’Union indienne, « Gorkhaland ». La récente décision des autorités de rendre obligatoire l’enseignement de la langue bengalie dans les écoles de Darjeeling a relancé les tensions.

Les séparatistes ont donné aux autorités jusqu’au 8 août pour satisfaire leurs revendications, alors que trois personnes ont déjà été tuées lors d’affrontements avec les forces gouvernementales.

Les prix pourraient bondir de 20 %

Pour les propriétaires de plantations et les négociants, la situation politique est une catastrophe pour l’industrie du thé.

« Les arbres à thé ont besoin d’être régulièrement irrigués, désherbés et élagués, explique le directeur du domaine de thé Ambiok, déjà envahi de mauvaises herbes. Cela va prendre des semaines sinon des mois pour qu’ils reviennent à la normale et il faudra ensuite encore plus de temps pour commencer la production. »

Si la variété Darjeeling ne représente qu’une petite partie de la production globale de thé en Inde, elle est en revanche des plus délicates. Certains thés raffinés peuvent être vendus jusqu’à 1 500 euros le kilo, tandis que des géants du secteur, comme le conglomérat indien Tata et le Néerlandais Unilever, commercialisent des variétés pour la consommation de masse à travers le monde.

Un prolongement du blocage va encore faire augmenter les prix, qui pourraient bondir de plus de 20 %. Si les marques concurrentes ont jusqu’ici échoué à s’imposer face à la réputation mondiale de Darjeeling, la situation risque cette fois de faire « perdre des parts de marché au profit des marques de thé de Chine, du Sri Lanka et du Népal », a prévenu le président de l’Association de négociants en thé Siliguri.