Donald Trump Junior à la Trump Tower de New York, le 18 janvier. | Stephanie Keith / REUTERS

Le procureur Robert Mueller est-il en train de franchir la « ligne rouge » tracée par Donald Trump ? L’annonce que l’ancien chef du FBI avait réuni un grand jury à Washington pour l’assister dans l’enquête russe, en plongeant dans les possibles liens financiers entre des intermédiaires russes et la famille Trump – un champ que le président avait jugé hors limites –, a montré que l’affaire qui pèse sur la présidence américaine est entrée dans une nouvelle phase. M. Mueller a lancé des assignations à comparaître – notamment à l’égard du fils du président, Donald Trump Jr – et demandé la communication de documents financiers.

Chargé depuis le 10 mai de cette enquête criminelle, installé, avec une quinzaine de juristes hautement qualifiés venus de tout le pays et du secteur privé, dans un endroit tenu secret, M. Mueller a réparti les dossiers : l’éventuelle collusion avec la Russie pour gagner l’élection ; l’éventuelle obstruction de la justice, après le limogeage du directeur du FBI James Comey, le 9 mai ; et les activités de l’ancien directeur de campagne et lobbyiste favorable aux séparatistes ukrainiens soutenus par Moscou, Paul Manafort, et de l’ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn.

Sous serment, sans avocat

Un grand jury avait déjà été réuni en Virginie pour instruire les soupçons qui pèsent sur le général Flynn. Le grand jury réuni à Washington s’intéresse à la rencontre de Donald Trump Jr avec quatre intermédiaires russes, dont une avocate liée au Kremlin, le 9 juin 2016. Le fils du président avait été alléché par la perspective de recevoir des documents mettant en cause Hillary Clinton. Grâce au grand jury, le procureur va pouvoir exiger communication des relevés de téléphone, des courriels et des textos.

La formule de grand jury – une instance composée de citoyens ordinaires qui se réunit secrètement et décide s’il y a lieu de recommander une inculpation – permet aux enquêteurs d’entendre des témoins sous serment et en dehors de la présence de leur avocat. Le jury va « convoquer la secrétaire de Donald Trump pour lui demander si Don junior est venu voir son père une demi-heure après la réunion, a supposé Bill Kristol, le directeur du Weekly Standard, un républicain anti-Trump. Après, ils vont mettre Don Junior sous serment et ils vont lui demander ce qu’il a dit à son père ».

L’avocat du président, Ty Cobb, a indiqué qu’il n’était pas au courant de la formation du grand jury, tout en soulignant que son équipe « collaborerait pleinement » avec celle de M. Mueller.

« Qui sait ? »

Selon la presse, les enquêteurs ont par ailleurs commencé à éplucher les investissements réalisés par des Russes dans les projets immobiliers de la Trump Organization. Ils auraient demandé des documents bancaires et la liste des occupants de la Trump Tower de New York. Dans son entretien au New York Times, le président avait lui-même réfuté tout lien : « Je n’ai pas de revenus provenant de Russie. » Avant d’ajouter : « Je veux dire… Il est possible qu’il y ait un appartement ou quelque chose, je vends beaucoup d’appartements, et quelqu’un de Russie en achète un, qui sait ? Mais je ne fais pas d’affaires avec la Russie. »

L’enquête devrait durer des mois. Robert Mueller va « suivre la piste de l’argent », a estimé l’ancien directeur de la CIA, Leon Panetta – reprenant le fameux conseil de « Gorge profonde », la source qui informait les journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein dans l’affaire du Watergate –, « pour savoir si d’une manière ou d’une autre, cela mène à la possibilité de collusion ou de chantage », a-t-il ajouté.

Donald Trump tentera-t-il de s’interposer ? Le Congrès l’a déjà mis en garde. Deux projets de loi ont été déposés jeudi au Sénat, visant à l’empêcher d’essayer de limoger le procureur spécial sans l’avis d’un panel de trois juges fédéraux. A l’unanimité, le Sénat a aussi décidé de rester en session formelle, afin de dissuader le président d’essayer de profiter des vacances parlementaires – comme il en a le droit – pour procéder à des nominations sans son aval.