Le centre de rétention de l’île Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le 11 février 2017. / HANDOUT / REUTERS

La tension est au point d’ébullition dans le centre de rétention de l’île Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), où l’Australie, avec l’accord du gouvernement local, a confiné depuis quatre ans des centaines de réfugiés, majoritairement iraniens et afghans, qu’elle refuse d’accueillir sur son territoire. Depuis plus d’une semaine, une bonne partie des 790 migrants retenus dans ce « centre de traitement des demandes d’asile » manifestent pacifiquement contre les mesures coercitives des autorités papouasiennes et australiennes visant à les évacuer du camp, dont la fermeture est prévue le 31 octobre, notamment la coupure de l’eau, de l’électricité et de tous les services sanitaires et médicaux.

Sous la menace d’une évacuation forcée vers un centre de transit à Lorengau, la capitale de la province de Manus, les réfugiés affirment ne pas se sentir en sécurité hors des installations, notamment à cause du violent accueil que la population locale leur réserve, et demandent la possibilité de s’installer dans un pays où leur vie ne soit pas en péril. Leurs craintes sont loin d’être injustifiées : alors que, à la fin de juillet et au début d’août, trois attaques visant des migrants ont eu lieu à Lorengau, dont un à coups de machette, dimanche 6 août, un réfugié iranien a été retrouvé mort à proximité de la ville, pendu à un arbre, dans des circonstances peu claires.

« Ils sont terrifiés »

Dans le camp de Lombrum, les autorités préparent le terrain pour l’arrêt définitif des opérations, bien que cela signifie contraindre les hommes qui y vivent depuis quatre ans à quitter les lieux contre leur volonté. « Ils ont coupé l’eau et l’électricité pour nous obliger à quitter le camp et nous installer dans la prison de Lorengau. Ils veulent à tout prix qu’on reste en Papouasie, mais nous ne sommes pas en sécurité ici », assure Behrouz Boochani, un journaliste iranien kurde détenu sur place depuis 2013, qui participe à la « résistance pacifique » des manifestants depuis son lancement.

L’homme, de 34 ans, a fui l’Iran à la suite des arrestations de onze de ses collègues du site Internet kurde critique du gouvernement iranien où il travaillait. Comme la plupart des migrants retenus à Manus, il a été conduit par les forces frontalières australiennes dans cette île de l’océan Pacifique en 2013, d’où il n’est plus jamais reparti. « Ma demande d’asile n’a jamais été enregistrée en Australie. Ils m’ont exilé tout de suite dans cette île lointaine, et maintenant qu’ils ont confirmé que je suis bien un réfugié, ils me disent que je dois m’installer en Papouasie ou rentrer en Iran », où une autre prison l’attend, confie-t-il.

Bien que, comme M. Boochani, 647 migrants du camp aient reçu le statut de réfugié de la Papouasie, une large majorité d’entre eux préfèrent vivre en captivité que partir à Lorengau. « Ils sont terrifiés à l’idée de quitter le centre. Beaucoup d’entre eux se sont fait attaquer ces dernières années par des habitants locaux qui n’acceptent pas la présence des réfugiés, qui leur a été imposée, en plus, par un gouvernement étranger », explique Graham Thom, responsable de la question des réfugiés d’Amnesty International Australie. Les relations entre Manusiens et migrants sont d’autant plus difficiles depuis que ceux qui ont accepté de s’installer dans l’île ont tissé des liens avec les femmes locales ; une pilule dure d’avaler dans une culture tribale qui a souffert des longues années de colonialisme.

Un accord « bête », selon Trump

Lors de son ouverture, en 2013, le camp était censé accueillir temporairement les migrants arrivés par bateau en Australie. Il représentait une composante essentielle de la fameuse « pacific solution » du gouvernement australien pour dissuader les migrants de se rendre dans le pays, et qui avait notamment inclus une campagne d’affiches avec le slogan « Non, vous ne ferez pas de l’Australie votre chez vous ». Mais malgré l’accord du gouvernement de PNG, il a été jugé « illégal et anticonstitutionnel » trois ans après sa mise en fonctionnement par la Cour suprême papouasienne, forçant l’Australie à repenser sa stratégie. Sans pour autant accepter ces demandeurs d’asile sur le sol australien, comme l’a réaffirmé au début de juillet le ministre de l’immigration du pays, Peter Dutton.

L’espoir d’un futur plus prometteur pour ces réfugiés s’ouvrait en novembre 2016 avec l’engagement des Etats-Unis de Barack Obama à prendre en charge environ 1 250 d’entre eux, bloqués dans les centres de rétention offshore australiens. Mais, à ce jour, le gouvernement américain entretient le flou concernant le destin de cet accord, jugé « bête » par Donald Trump. Selon M. Boochani, depuis que l’accord a été signé, seuls 470 personnes – sur les 790 migrants – ont participé au processus d’éligibilité pour se rendre aux Etats-Unis, dont à peine une quarantaine auraient reçu un avis favorable pour passer à la dernière étape de la sélection, un contrôle médical.

« Quelques réfugiés iront certainement en Amérique. Les autres resteront bloqués en Papouasie-Nouvelle-Guinée, malgré le risque d’un danger réel », estime le responsable d’Amnesty. Bien que les migrants n’aient aucune idée de ce qui les attend, les manifestations pour récupérer l’eau et l’électricité continueront, promet Behrouz Boochani, dans ce parage manusien dont le nom, Lombrum, signifie en langue locale « l’endroit au fond du bateau où l’on garde les prisonniers ».