Le 8 août, l’agriculteur des Alpes-Maritimes, Cédric Herrou, en présence de son avocat, Me Zia Oloumi, a été condamné plus durement qu’en première instance, où il avait été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis. / BORIS HORVAT / AFP

La condamnation en appel, à Aix-en-Provence, mardi 8 août, de Cédric Herrou, militant engagé dans l’aide aux migrants, à quatre mois de prison avec sursis, a suscité l’indignation à gauche et chez les défenseurs des migrants. « C’est l’Etat qui devrait être condamné, et Cédric Herrou remercié », a jugé le porte-parole du Parti communiste français, Olivier Dartigolles. La présidente de la Cimade, Geneviève Jacques, s’est dite « scandalisée » par cette décision.

L’agriculteur des Alpes-Maritimes a été condamné plus durement qu’en première instance, où il avait été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis pour avoir aidé et acheminé de nombreux migrants cherchant à traverser la frontière italienne par la vallée de la Roya. Il a également été condamné pour l’occupation illicite d’un bâtiment inoccupé de la SNCF.

Si sa peine en appel est restée inférieure aux réquisitions de l’avocat général (huit mois avec sursis), l’homme de 37 ans compte désormais se pourvoir en cassation : « Il n’y a aucune flagrance de passage à la frontière, rien, je revendique seulement le fait d’accueillir des gens qui ont passé la frontière par leurs propres moyens », a-t-il déclaré.

Des exceptions au « délit de solidarité »

L’article 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punit de 30 000 euros d’amende et d’une peine de cinq ans d’emprisonnement « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ». Les interpellations et poursuites engagées à ce titre constituent, pour les militants engagés auprès des migrants, ce qu’ils ont appelé un « délit de solidarité ».

Des exceptions ont été ajoutées au fil des ans, jusque pendant le quinquennat de François Hollande, après plusieurs cas médiatisés. En 2009, Monique Pouille, retraitée de 62 ans, avait été interpellée à son domicile de Calais pour avoir apporté de la nourriture et rechargé les téléphones portables de migrants qui vivaient dans un squat proche de son domicile. La même année, un bénévole d’Emmaüs avait été placé en garde à vue pour avoir refusé de fournir une liste des personnes hébergées dans un centre aux policiers qui cherchaient un sans-papiers.

En décembre 2012, une loi a donc modifié l’article 622-4 qui prévoit désormais que l’aide au séjour ne peut donner lieu à des poursuites pénales « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ». Ces exceptions ne concernent cependant pas l’aide à l’entrée et à la circulation des étrangers en situation irrégulière, seulement l’aide au séjour.

En appel comme en première instance, M. Herrou a bien été condamné pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’étrangers acheminés depuis Vintimille, en Italie. Si, en février, le tribunal avait estimé que son aide n’avait pas fait l’objet de contrepartie, la cour d’appel n’a pas été de cet avis. Elle a jugé que « les actions de Cédric Herrou s’inscrivaient de manière plus générale, comme il l’a lui-même revendiqué et affirmé clairement à plusieurs reprises, dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités ». A ce titre, elle a estimé que ce militantisme était une forme de contrepartie et que l’agriculteur ne pouvait pas bénéficier des exceptions introduites dans la loi.

Le 8 août, l’agriculteur des Alpes-Maritimes, Cédric Herrou, a été condamné plus durement qu’en première instance, où il avait été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis. / BORIS HORVAT / AFP

« Une immunité extrêmement floue »

Pour les avocats engagés en faveur des migrants, le « délit de solidarité » est donc toujours bel et bien là, et les exemptions ajoutées en 2012 sont insuffisantes. « La cour d’appel vient de faire une exacte application du texte », juge Me Stéphane Maugendre, ancien président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et avocat au barreau de Bobigny. La loi permet « des poursuites extrêmement larges » et offre « une immunité extrêmement floue », ajoute-t-il.

« Les exemptions aujourd’hui laissent toujours une marge de manœuvre au juge », estime Me Claudia Charles, associée au Gisti, pour qui l’arrêt de la cour d’appel est un « message fait à des militants dans la même situation que Cédric Herrou, pour les dissuader ». « Ça veut dire quoi une “contrepartie directe ou indirecte” ? Si vous invitez quelqu’un et qu’il participe au ménage, est-ce une contrepartie indirecte ? », interroge Me Maugendre. Selon lui, « l’intimidation des militants passe par les perquisitions et les gardes à vue, jusqu’aux poursuites », ajoute-t-il.

Une autre affaire d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’étrangers en situation irrégulière devrait prochainement relancer les débats puisque la cour d’appel d’Aix-en-Provence devra rendre sa décision concernant le cas de Pierre-Alain Mannoni, un homme qui a pris en charge et aidé trois jeunes migrantes érythréennes. Il avait été relaxé en première instance, le tribunal ayant estimé que l’action de ce chercheur au CNRS, qui était venu en aide sans contrepartie à de jeunes migrantes se trouvant en danger, relevait bien de l’exception prévue par la loi.

Cédric Herrou, quant à lui, a récemment été mis en examen dans une autre affaire, à nouveau pour aide à l’entrée et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière.

Sur la route avec un agriculteur qui fait traverser la frontière italienne à des migrants
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