Des migrants dans le port de Malaga (Espagne), le 7 août, après avoir été secourus en mer Méditerranée. / JON NAZCA / REUTERS

Editorial du « Monde ». Que l’on analyse la question à l’horizon de quelques semaines, de plusieurs années ou des prochaines décennies, le même constat s’impose : plus que jamais l’Europe va devoir apprendre à vivre avec l’immigration, qu’il s’agisse des flots de réfugiés fuyant des conflits proche-orientaux ou africains, ou des flux de migrants cherchant à échapper à la misère, voire à la famine. Et l’évidence n’est pas moins claire que l’Europe, et en son sein la France, n’est pas prête à relever ce défi historique.

Dans l’immédiat, c’est l’Italie qui en fait l’amère expérience. Certes, l’on est très loin, cette année, du million de réfugiés qui avaient frappé aux portes de l’Europe en 2015. En 2016, grâce à l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, le flux avait fortement diminué, avec 363 000 arrivées dans l’UE. Du fait de la quasi-fermeture des portes d’entrée par la Grèce et par l’Espagne, toute la pression se concentre désormais sur l’Italie.

Depuis le début de l’année, elle a accueilli 85 % des 118 000 migrants qui ont atteint les côtes européennes depuis la Libye, tandis que 2 400 périssaient en mer. Or, depuis des semaines et en dépit des belles paroles qui lui sont adressées, Rome appelle en vain ses partenaires à la rescousse, tandis que l’exaspération ne cesse de croître entre les autorités italiennes et les ONG humanitaires, accusées de faire le jeu des passeurs en multipliant les opérations de secours en mer.

Au-delà de l’accueil humanitaire immédiat, chacun sait bien qu’il faudrait s’efforcer de traiter le problème avant que les candidats à l’exil ne s’embarquent vers l’Europe depuis les côtes libyennes. Ainsi, le président de la République, Emmanuel Macron, a défini, en juillet, les deux objectifs de sa politique migratoire : contrôler plus étroitement les frontières extérieures de l’espace européen en renforçant l’agence européenne Frontex et prendre le problème à la racine, dans les pays du Sahel.

Une donnée structurelle

C’est cohérent, mais, à ce stade, largement irénique. D’une part, sans même parler du chaos libyen, cela suppose un minimum de stabilité et de sécurité dans l’immense zone sahélienne par où transitent aujourd’hui la plupart des migrants. On en est loin. D’autre part, cela implique de faire la distinction entre réfugiés politiques, éligibles à l’asile, et migrants économiques, qui ne le sont pas.

Or, les chiffres démontrent qu’actuellement les seconds – notamment Guinéens, Ivoiriens, Gambiens, Sénégalais, Nigérians – sont de très loin les plus nombreux. On peut douter qu’ils se rendent dans les « hotspots » envisagés par M. Macron, où ils n’auraient aucune chance d’obtenir leur billet d’entrée en Europe.

A plus long terme, enfin, l’immigration constitue une donnée structurelle pour l’Europe. Le rapport de l’ONU sur les perspectives démographiques mondiales, dont Le Monde a rendu compte hier, prévoit, en effet, que la population africaine va exploser dans les prochaines décennies : elle devrait passer de 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui à 2,4 milliards en 2050 et plus de 4 milliards à la fin du siècle, alors que, dans le même temps, la population – et par conséquent la main-d’œuvre – européenne déclinera.

Un tel déséquilibre ne peut que nourrir les tensions et les mouvements migratoires du Sud vers le Nord. Sauf à construire, avec le continent africain, une politique d’aide au développement moderne et de grande ampleur. C’est, en réalité, le vrai défi pour l’Europe, et l’on en est loin.