LES CHOIX DE LA MATINALE

Au cœur de l’été, il importe de suivre un régime équilibré. L’offre cinématographique le permet avec un menu constitué de nouveautés insulaires (Corse, Hongkong) et de classiques japonais et américains (proposés par deux des grands impassibles du cinéma, Keaton et Kitano). Cette chère recommandable autorise même quelques écarts, si l’on a envie de faire un tour chez les singes ou les agents spatio-temporels.

UNE TRAGÉDIE INTIME SUR L’ÎLE DE BEAUTÉ : « Une vie violente »

Cannes 2017 : « Une Vie violente » de Thierry de Peretti, les dérives sanglantes du nationalisme corse
Durée : 03:26

La trajectoire erratique de Stéphane (Jean Michelangeli), étudiant corse qui dans les années 1990 prend le parti de la lutte armée, aurait pu prendre la forme d’une des épopées mafieuses inventées par les grands du Nouvel Hollywood. Thierry de Peretti choisit une autre voie, plus intime, plus exigeante, qui oppose le discours aux actes, qui filme la violence sans ciller, mais de loin, se tenant rigoureusement à l’écart de la complaisance.

Le résultat est un film à part dans le cinéma français, qui affronte bravement le réel, qui compte sur les acteurs et sur une mise en scène fluide pour que le spectateur embrasse une situation qui lui sera le plus souvent étrangère avec la lucidité et la compassion qui ont été celles du cinéaste.

Film français de Thierry de Peretti. Avec Jean Michelangeli, Henri-Noël Tabary, Dominique Colombani (1 h 47).

DANSONS AU BORD DU GOUFFRE FINANCIER : « Office »

Office de Johnnie To : bande-annonce

Quand il filmait les braqueurs et les policiers de Hongkong, on a souvent dit de Johnnie To qu’il faisait danser la caméra. Avec Office, son premier film à sortir en France depuis 2012 (alors qu’il continue d’en réaliser plus d’un par an), ce maître du film noir passe à la comédie musicale (et en relief, si le cœur vous en dit). Comme dans n’importe quel marivaudage, il y aura trois couples, d’âges différents. Mais l’enjeu est moins l’amour de l’une pour l’autre que le portefeuille d’actions de la grande compagnie pour laquelle travaillent tous les protagonistes.

Dans un extraordinaire décor presque abstrait, fait de barres de lumière et d’escaliers vertigineux, les nuages de la crise financière de 2008 s’amoncellent, pendant que les amants, les maîtresses se mentent les uns aux autres pour mieux se mettre à l’abri. Autour d’eux, de leurs ritournelles financières, Johnnie To fait virevolter sa caméra, figurant très exactement, sans une once de réalisme, le vertige de la finance.

Film chinois (Hongkong) de Johnnie To. Avec Sylvia Chang, Chow Yun-Fat, Wei Tang (1 h 59).

L’ÉTÉ DE TAKESHI KITANO

Takeshi Kitano - Chemins de traverse - Bande-annonce

Pour se souvenir que Kitano fut l’un des plus grands cinéastes de la fin du XXe siècle, souvenir un peu effacé par la suite de sa carrière, il faut revoir Kids Return, Hana-bi et L’Eté de Kikujiro. Un roman d’apprentissage d’un noir pessimisme, un film policier qui est aussi une étude de cas psychiatrique, une errance burlesque qui mène au cœur de l’enfance, la seule étendue du registre de Kitano à cette époque éblouit.

Mais ce n’est pas tout de savoir passer d’un registre à l’autre, il faut savoir maîtriser chacun d’entre eux. Or, en quelques longs-métrages (ceux-ci portent les numéros cinq à sept de sa filmographie), Kitano, ex-comique télévisuel, avait tout compris de l’art du cadre et du montage.

S’il faut choisir un film sur les trois (mais mieux vaut les voir tous), on recommandera Kids Return, nourri de l’expérience personnelle du cinéaste, qui met en scène les ascensions brisées de deux amis, Shinji et Masaru, qui veulent devenir l’un boxeur, l’autre yakuza. Avec une apparente impassibilité, Kitano montre comment les sociétés marginales, club de boxe ou crime organisé, reproduisent les tricheries et les déséquilibres de la société « normale ».

Cycle « Kitano, chemins de traverse » : Kids Return (1996) ; Hana-bi (1997) ; L’Eté de Kikujiro (1999).

L’UNIVERS ALTERNATIF DE L’HOMME QUI NE RIAIT JAMAIS : rétrospective Buster Keaton

Buster Keaton - Cadet d'eau douce

Ce ne sont pas des films rares (encore que tout le monde n’ait pas vu les courts-métrages de Keaton en quatre), mais comment laisser passer l’occasion de revoir Le Mécano de la Générale, Cadet d’eau douce ou College ? La géométrie des gags, l’engagement physique de l’homme qui ne riait jamais ne sont que deux des éléments de ce cinéma finalement très mystérieux, qui attire le spectateur dans un monde tout à fait reconnaissable (après tout, Keaton ignorait le trucage) mais dans lequel les lois ordinaires (aussi bien celles que font respecter les forces de l’ordre que celle de la gravité) sont distordues.

Et puis, ces rééditions peuvent aussi être l’occasion d’offrir à un néophyte l’occasion de découvrir Keaton, ce qui reste, pour la majorité des sujets, un moment important de l’existence.

Le Mécano de la Générale (1926), College (ex-Sportif par amour, 1927), Cadet d’eau douce (1928), Keaton en 4 (Malec champion de tir, 1921, Malec l’insaisissable, 1921, Frigo Fregoli 1921 et Frigo déménageur, 1922).