FIFA : comprendre le « système Blatter » en cinq minutes
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C’est une bombe que vient de lancer Der Spiegel. Dans un article intitulé « Le complot », l’hebdomadaire allemand dévoile un document qui relance le feuilleton borgiesque à la Fédération internationale de football (FIFA). Ledit document est une proposition de contrat envoyée, le 19 décembre 2014, par le cabinet d’avocats californien Quinn Emanuel (QE) au directeur juridique de la FIFA, Marco Villiger. Dans ce document, QE s’engage à défendre les intérêts de la Fédération contre le département d’Etat de la justice américaine.

Le contrat est signé le 5 janvier 2015 par le secrétaire général de l’organisation, Jérôme Valcke, et par son adjoint et directeur financier Markus Kattner, puis tamponné par M. Villiger. La chronologie apparaît troublante dans la mesure où l’administration de la FIFA semble avoir été au courant de la menace exercée par les autorités américaines « 142 jours » avant le fameux coup de filet du 27 mai 2015, à Zurich (Suisse). Ce jour-là, plusieurs dignitaires de l’instance planétaire avaient été interpellés pour corruption, fraude et blanchiment d’argent. Cette vague d’arrestations avait eu lieu deux jours avant la réélection du Suisse Sepp Blatter, le 29 mai 2015, pour un cinquième mandat à la présidence de la FIFA.

« Un complot interne »

La tornade judiciaire avait finalement conduit le Valaisan à remettre son mandat à disposition, le 2 juin 2015. Ce dernier, dont la signature manque sur le contrat scellé avec QE, assure qu’il « n’était pas du tout au courant » de cet accord. Celui qui a été suspendu six ans pour un paiement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) fait en 2011 à l’ex-président de l’UEFA Michel Platini – lui-même radié quatre ans – se dit victime d’un « complot interne ».

« Jamais Messieurs Valcke, Kattner ou Villiger ne m’ont parlé de ce contrat, assure au Monde M. Blatter, 81 ans. Si moi ou le comité exécutif de la FIFA avions été au courant, nous aurions demandé [à la justice américaine] pourquoi on voulait nous attaquer. On aurait pu se préparer. Cette lettre reçue par M. Villiger est détaillée. Cela veut dire que quelques mois avant décembre 2014, on savait qu’il y avait un danger. C’est une faute grave que de ne pas aviser le président ou le comité exécutif. »

L’ex-patron du football mondial charge son ancien bras droit Jérôme Valcke (2007-2015), radié dix ans par la FIFA et sous le coup d’une procédure pénale en Suisse. « Je ne crois pas que Valcke soit innocent dans cette affaire », assène l’octogénaire. Contacté par Le Monde, M. Valcke dément les « accusations sans fondements » de son ex-patron. Quant à la FIFA, elle n’a pas souhaité faire de commentaire.

Sepp Blatter a-t-il réellement ignoré l’existence de ce contrat, signe avant-coureur de l’intervention de la justice américaine pour des délits financiers commis dans les Confédérations d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud ? « D’une manière générale, rien d’important n’était fait ou encore moins signé sans une information préalable au Président. Villiger parlait directement à Blatter », nuance un ex-salarié de la FIFA. « Vous ne pouvez croire personne dans le monde du football », assure un ex-collaborateur de Sepp Blatter, qui tend pourtant à donner du crédit à ses dires.

« Ce contrat relance l’affaire »

L’ex-président de la FIFA égratigne au passage son ex-dauphin putatif et ancien allié Michel Platini qui, « si je recoupe un peu, devait être au courant des choses qui allaient se passer » avant le congrès du 29 mai 2015. Contacté, le camp Platini dément formellement ces accusations.

Pour M. Blatter, « ce contrat relance l’affaire ». Les révélations du Spiegel mettent surtout en lumière l’engrenage qui a entraîné, comme dans un drame shakespearien, la chute du Suisse et de Michel Platini. Le récit de l’hebdomadaire allemand se concentre sur la figure de Marco Villiger, intermédiaire privilégié de Quinn Emanuel et coordinateur des activités du comité d’éthique de la FIFA. « Homme de loi » zélé de Sepp Blatter et de Jérôme Valcke, le juriste a été promu, en 2016, secrétaire général-adjoint par le nouveau président de la FIFA, Gianni Infantino.

En mars, dans une enquête du Monde, Marco Villiger était désigné par plusieurs sources internes comme externes à la Fédération comme le « proche de Blatter », la « taupe » qui a transmis l’information au Ministère public de la Confédération helvétique (MPC) relative au paiement fait à Michel Platini. La divulgation de ce versement avait conduit le parquet suisse à mener, en septembre 2015, une perquisition dans le bureau de Sepp Blatter. Les autorités avaient alors mis la main sur le récépissé dudit paiement, ouvrant dans la foulée une procédure pénale contre le dirigeant de la FIFA.

La « fuite » qui a entraîné la chute de Michel Platini

Cette « fuite » organisée avait empêché Michel Platini, suspendu par le comité d’éthique de la Fédération et auditionné par le MPC en tant que témoin assisté, de briguer la présidence de la FIFA. « En 2015, Blatter ne veut pas de Michel Platini comme président et il a certainement fait sortir ça en oubliant le principe de l’arroseur arrosé », soufflait, en mars au Monde, l’un des anciens collaborateurs de l’ex-numéro 1 de l’instance. « Selon les informations que j’avais reçues c’est le système d’alerte des banques qui a transmis le cas au MPC. Ce n’est donc pas un insider à la FIFA qui l’aurait transmis… et surtout pas moi », répondait alors M. Blatter.

Aujourd’hui, le Valaisan « pense que ce serait dans la logique que Villiger ait transmis l’information car tout ça était dirigé contre le président de la FIFA. » Le directeur juridique de la Fédération était-il au courant du fameux paiement fait à Michel Platini avant la perquisition menée par le parquet suisse, en septembre 2015 ? « Non », répond la FIFA. « Villiger était au courant du paiement des deux millions, rétorque Sepp Blatter. C’est un menteur. Il le sait. D’ailleurs il m’a fait une remarque à ce sujet un jour. »

La version de l’ex-président de la FIFA rejoint celle donnée devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) par son ancien collègue Markus Kattner. L’ex-directeur financier assurait alors « avoir discuté de ceci au moins brièvement avec le directeur juridique car (il) le rencontrait chaque matin pour échanger des informations. »

« Cette histoire, qui était une opération, n’est pas finie. C’est triste. Toute la documentation est chez mon avocat. Il va voir ce qu’on peut faire, conclut Sepp Blatter. Je me rappelle une belle histoire française qui a été jouée au théâtre et au cinéma : le dîner de con. Moi, on m’a considéré comme un con. Dans l’histoire, le con a finalement gagné. »