Saisie en début de semaine par le gouvernement, l’Anses a répondu par la négative, dans un avis rendu public vendredi 11 août. / STRINGER / REUTERS

Crise sanitaire ou scandale alimentaire ? Le ministre français de l’agriculture, Stéphane Travert, a révélé, vendredi 11 août, que près de 250 000 œufs-coquilles contaminés au fipronil – un insecticide interdit dans le secteur avicole – ont été introduits sur le marché français depuis mi-avril. La majorité d’entre eux ont déjà été consommés. Ils s’ajoutent à une quantité, jusqu’ici toujours inconnue, d’ovoproduits également contaminés, utilisés par l’industrie agroalimentaire et la restauration pour fabriquer des plats préparés, pâtes et autres gâteaux.

En l’état, cette situation présente-t-elle un risque élevé pour la santé publique ? Saisie en début de semaine par le gouvernement, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a répondu par la négative, dans un avis rendu public vendredi matin. « Compte tenu des concentrations de fipronil observées à ce jour dans les produits contaminés, et considérant la caractérisation des dangers de cette substance, le risque de survenue d’effets sanitaires apparaît très faible », assure l’Anses.

L’agence s’est appuyée sur le pire scénario, celui d’une situation dans laquelle les œufs contaminés contiennent le plus haut taux de fipronil retrouvé à ce jour, c’est-à-dire 1,2 milligramme de la substance par kilogramme d’œuf (mg/kg). La dose de référence pour les expositions aiguës étant fixée en Europe, pour le fipronil, à 0,009 milligramme par kilogramme de poids corporel du consommateur, le calcul est simple.

Un seul œuf pour les moins de 3 ans

La valeur seuil est atteinte en cas de consommation, au cours d’une brève période, d’une dizaine d’œufs contaminés pour un adulte, même pour les femmes enceintes. En revanche, elle est atteinte pour un seul œuf consommé par un enfant de moins de 3 ans. Le jugement de l’Agence est ainsi semblable à ceux de ses homologues européennes, qui se sont déjà exprimées sur la question.

La valeur de référence pour l’intoxication aiguë pourrait-elle être plus facilement dépassée en tenant compte des autres sources d’exposition alimentaire de la population ? Les résultats des analyses en cours aux Pays-Bas, sur les poulets de chair commercialisés par des exploitations suspectées d’avoir utilisé du fipronil, ne sont pas encore disponibles. Mais l’Anses a estimé ces teneurs à partir des résultats, connus, des mesures de concentration de l’insecticide dans la chair des poules pondeuses frauduleusement traitées. Cette concentration étant de 0,175 mg/kg, il faudrait consommer des quantités très importantes de poulet potentiellement contaminé pour que la valeur seuil soit atteinte.

En outre, rappelle l’Anses dans son avis, le fait d’atteindre ou de dépasser celle-ci n’entraîne pas nécessairement la survenue d’effets indésirables. Loin s’en faut : « Des niveaux de dose de l’ordre de plus de dix fois la dose de référence aiguë n’ont pas conduit à observer des effets généraux, y compris chez l’enfant, rapporte l’agence. Seuls sont rapportés des troubles digestifs. »

« Nous ne voulons pas être alarmistes, mais nous pensons prématuré d’affirmer aujourd’hui que la situation ne présente aucun risque sanitaire, dit pour sa part Ingrid Kragl, directrice de l’information de l’ONG Foodwatch France. Il reste beaucoup d’inconnues, en particulier sur l’étendue de la contamination de la chaîne alimentaire et sur la période au cours de laquelle cette contamination s’est produite. »

Utilisations frauduleuses de fipronil dès 2016

Une facture présentée le 9 août au Parlement belge par Jean-Marc Nollet, chef des députés écologistes, fait état de la livraison, dès mai 2016, de 3 000 litres de fipronil par une entreprise roumaine à une société du secteur avicole belge. Une note interne de l’agence de sécurité sanitaire néerlandaise, que Le Monde a pu consulter, fait état d’utilisations frauduleuses de fipronil dès novembre 2016.

Au reste, l’Anses demeure prudente dans son évaluation : « En l’absence de données consolidées relatives aux concentrations de fipronil dans les œufs potentiellement mis sur le marché en France, une évaluation des risques sur le long terme n’a pu être réalisée au plan quantitatif », explique le rapport qui, au total, suggère néanmoins que, dans tous les cas de figure, les risques demeurent très faibles.

Certains éléments de l’avis de l’Anses prêtent cependant à controverse. « Une augmentation de l’incidence de tumeurs thyroïdiennes a été observée » sur des rats ayant ingéré de fortes doses de fipronil (12 mg/kg par jour), note ainsi l’Agence, ajoutant que ces tumeurs étaient « spécifiques au rat » et que « la non pertinence de ces tumeurs pour l’homme a été établie ». Mais cet avis n’est pas consensuel, tant s’en faut.

Une étude de cas, portant précisément sur le fipronil, présentée dans le cadre d’un atelier scientifique organisé en mai par l’Anses et rassemblant une quarantaine des meilleurs spécialistes mondiaux de la thyroïde, concluait à l’exact inverse : « Ces suppositions sur de grandes différences du système thyroïdien entre les rats et les hommes pourraient être incorrectes et ne devraient pas être utilisées pour rejeter le rat comme un prédicteur des effets sur la thyroïde pour les humains. »

« Différentes hypothèses très intéressantes ont été exprimées au cours de cet atelier, répond Françoise Weber, directrice générale adjointe de l’Anses, chargée des produits réglementés. Cependant elles n’en constituent pas pour autant un standard pour l’évaluation des risques, d’autant que cet effet n’a jamais été observé sur l’homme. »