Le Français Kévin Mayer, après l’épreuve de saut en hauteur du décathlon, le 11 août 2017. REUTERS/Dylan Martinez | DYLAN MARTINEZ / REUTERS

La dernière fois que Kevin Mayer a achevé un décathlon, il a grimpé sur un podium et reçu une médaille d’argent olympique. C’était le 18 août 2016, à Rio de Janeiro. Quelques semaines après les Jeux, le décathlonien n’était pas allé au bout du Décastar de Talence, abandonnant, épuisé, au bout de quatre épreuves. A Londres, l’athlète français espérait, samedi 12 août, achever ce qui est seulement son deuxième décathlon en un an avec, au bout du cou, une médaille d’or. Vendredi, il avait accompli la moitié du chemin en terminant la première journée en tête avec 4 478 points.

Contrairement à tous ses concurrents londoniens, Kevin Mayer a choisi de ne pas s’offrir de répétition générale avant des Mondiaux abordés dans la peau de grand favori après la retraite d’Ashton Eaton, double champion du monde et olympique. Ainsi, aux championnats de France à Marseille en juillet, il ne s’est aligné que sur quatre épreuves. « Ce qui serait une connerie pour 98 % des décathloniens ne l’est pas dans son cas. Il peut se le permettre, car il repart toujours du même point, sans régression. Il emmagasine l’expérience. Pour Kevin, Rio, c’était hier », relève l’ex-décathlonien Romain Barras.

« Une séance avec un spécialiste en vaut vingt tout seul »

Entre-temps, le Drômois de 25 ans n’est pas resté inactif et a remporté en mars l’heptathlon des championnats d’Europe en salle à Belgrade, record d’Europe à la clé. Sa préparation originale s’est poursuivie avec des triathlons, format expérimenté au meeting de Paris. Le 1er juillet, Kevin Mayer a remporté l’épreuve en battant deux records personnels au javelot et au 110 m haies. Surtout, le Français a multiplié les meetings sur les différentes disciplines.

Ce choix de les travailler une par une, au lieu de les enchaîner lors d’un décathlon complet, est en train de payer. « Le principe, c’est de disputer au moins une fois chaque épreuve en compétition avant les Mondiaux. Certaines demandent plus de travail, comme le 110 m haies et le saut à la perche », explique Kevin Mayer. Pour progresser dans ces disciplines très techniques, il s’entraîne avec des athlètes spécialisés. En mars, il avait longuement décrit au Monde ce qu’il allait chercher auprès du perchiste Renaud Lavillenie, du hurdler Pascal Martinot-Lagarde ou encore de la lanceuse de disque Mélina Robert-Michon. « J’ai la chance de m’entendre avec tous ces meilleurs athlètes français qui travaillent dix fois plus que moi dans chacune de leur discipline, qui ont donc dix fois plus d’expérience et dix fois plus de choses à m’apporter. Une séance avec un spécialiste en vaut vingt tout seul. Le décathlon est une course contre la montre où l’on a dix épreuves à perfectionner… »

« Petite chialeuse »

Romain Barras, champion d’Europe en 2010, admire la méthode de son ancien camarade d’entraînement : « Il s’entraîne de façon plus “intelligente” que les autres, moins sur la charge de travail mais à haute intensité. Il a une approche réfléchie de tout ce qu’il fait. Et il assimile très vite les gestes techniques. » Il a ainsi su transformer d’anciens points faibles, comme la perche et les lancers, en gros points forts. « Il a une marge de progression sur les haies ou le javelot. Il n’est pas focalisé sur le calcul des points. C’est la concurrence dans chaque épreuve qui le fait avancer », décrit son entraîneur Bertrand Valcin.

Kevin Mayer lors de l’épreuve du saut en hauteur. | DYLAN MARTINEZ / REUTERS

Cette manière d’appréhender ces travaux d’Hercule est pour lui une façon de réduire l’incertitude dans une épreuve combinée, où, comme il le dit, « tellement de choses peuvent se passer ». La gestion des 48 heures de compétition est aussi une bataille avec son corps, qui lui rappelle inlassablement qu’il n’est pas fait pour passer d’une épreuve de force à une course de demi-fond. Les gênes et petites douleurs finissent forcément par se faire entendre : le décathlète doit savoir les apprivoiser. « Les jours qui précèdent un décathlon, je suis une petite chialeuse, s’amuse Kevin Mayer. Après, il y a une espèce de léthargie qui apparaît et je me dis : “Profite de ton lit parce que demain tu vas en chier !” »

Celui qui aide le Français à dresser ces douleurs est la dernière pièce de l’édifice monté par Kevin Mayer : Jérôme Simian, préparateur physique touche-à-tout, de la musculation au mental en passant par l’ostéopathie. Ses méthodes iconoclastes détonnent dans un milieu parfois engoncé dans le cadre fédéral. Romain Barras le décrit comme « un réparateur ». Il faut au moins cela pour cajoler le corps d’un décathlète qui envisage, le plus tôt possible, de casser la barre mythique des 9 000 points.