Lors du rassemblement en hommage aux vingt victimes, morts et blessés, de Charelottesville, le 12 août. / JIM BOURG / REUTERS

En haut de l’étroite ruelle, un homme à bout de nerfs tente en vain de franchir un cordon de policiers en tenue antiémeute pour chercher un ami dont il est sans nouvelles. Plus bas, les forces de l’ordre et les services de secours s’affairent auprès des victimes, évacuées par une succession d’ambulances. Tout a basculé à Charlottesville (Virginie), samedi 12 août en début d’après-midi, lorsqu’une voiture a percuté un groupe de militants antiracistes venus tenir tête aux groupuscules de l’extrême droite qui s’y étaient donné une nouvelle fois rendez-vous.

Le véhicule a fini sa course dans celui qui l’avait précédé avant de repartir brutalement en marche arrière en dépit des blessés causés par sa première charge. Le maire de la ville a annoncé un peu plus tard le décès d’une personne touchée. Pour trois jeunes militants présents au moment du drame et encore sous le choc, il ne peut s’agir que l’un acte délibéré. « Un attentat terroriste », gronde l’un d’eux avant de partir livrer son témoignage à un officier de la police de l’Etat de Virginie.

Unifier la droite

L’extrême droite américaine a fait de cette petite ville coquette son point de ralliement depuis que la municipalité, après d’autres, a décidé il y a moins de deux ans de déplacer la statue équestre d’un héros sudiste controversé, en l’occurrence celle du général Robert E. Lee qui trône dans un square du centre-ville. La décision fait désormais l’objet d’un contentieux juridique, mais la querelle a progressivement dépassé les frontières de la ville.

Le mot d’ordre lancé par les groupuscules d’extrême droite, dont le Ku Klux Klan qui avait déjà manifesté sur place en juillet, « Unifier la droite », a d’ailleurs dépassé la controverse historique et la nostalgie de la confédération qui a profondément divisé le Parti républicain comme l’a prouvé la primaire en vue de l’élection de novembre pour le poste de gouverneur. Ed Gillespie, un cacique du Grand Old Party, l’a emporté de justesse en juin face à un adversaire qui s’était prononcé pour le maintien de la statue.

Forte de la visibilité nouvelle de son nouvel avatar, « l’alt-right », et dopée par la victoire en novembre de Donald Trump, qu’elle avait activement soutenu, l’extrême droite s’était fixé un objectif. Fédérer des groupuscules historiquement divisés face à la gauche et notamment les mouvements antiracistes comme Black Lives Matter, né à la suite des violences policières visant des Afro-Américains.

Atmosphère belliqueuse

Avant le drame, les manifestants souvent équipés de casques et de boucliers et les contre-manifestants s’étaient défiés dans la rue sous le regard des forces de police. A deux pas de la statue équestre, Cory, un jeune antiraciste vêtu de noir, et Glenn, carrure de culturiste et crâne rasé luisant de sueur, ont échangé les insultes. « Nazi ! », a lancé le premier. « Connard, retourne sur Facebook ! », a rétorqué l’autre, une Croix de fer allemande tatouée dans le cou. Un peu plus loin, les échanges se sont résumés à des coups de poing, des coups de bâton, et à des jets de gaz lacrymogène.

Des hommes armés en treillis ont même pris position à l’entrée d’une ruelle pour permettre à des militants d’extrême droite légèrement commotionnés de reprendre leurs esprits. Sur un mode plus léger, Aniko Bodroghkozy et Gabriel Komisar membres du Socialist Snack Squad, ravitaillaient de leur côté en eau et en sandwiches les marcheurs antiracistes.

Cette atmosphère belliqueuse a incité les autorités municipales à mettre un terme en fin de matinée à la manifestation de l’extrême droite qui aurait dû s’étendre jusqu’à la fin de l’après-midi. Une victoire pour les antiracistes, par ailleurs plus nombreux sur le pavé que leurs adversaires, cependant endeuillée environ deux heures plus tard par la course folle de la voiture dont le conducteur a été appréhendé, sans que l’on en sache plus sur ses motivations en début de soirée. Revolver à la ceinture, « Swen » l’un des rares miliciens prêts à répondre à des journalistes jugés hostiles, s’était félicité auparavant du retentissement national de la mobilisation tout en déplorant l’absence de « la liberté de parole » aux Etats-Unis.

« Démonstration de haine »

Ce face-à-face s’est déroulé sous le regard souvent consterné d’habitants de Charlottesville. Très remonté contre l’extrême droite, Bob McAdams, membre d’une association locale, le Center for Peace and Justice, a refusé de renvoyer dos à dos les deux blocs tout en déplorant que certains militants de gauche cèdent à la violence et s’en prennent à la police, ne serait-ce que verbalement.

Les troubles ont été jugés suffisamment graves pour que le président des Etats-Unis les mentionne dans l’après-midi au cours d’une brève intervention devant la presse depuis son club de golf de Bedminster, dans le New Jersey, où il est officiellement en vacances. M. Trump a cependant refusé de désigner un coupable en assurant condamner « dans les termes les plus forts possibles cette énorme démonstration de haine, de sectarisme et de violence venant », a-t-il tenu à préciser, « de diverses parties ». Une formule qu’il a d’ailleurs répétée.

Le gouverneur démocrate de la Virginie, Terry McAuliffe, avait lui appelé, dès vendredi, les habitants à éviter de se rendre au rassemblement « Unifier la droite », porteur selon lui d’idées « abjectes » et pour lequel un détachement de la Garde nationale de l’Etat avait été mis en alerte.