La scène a un air de déjà-vu, mais impossible de s’habituer à cette horreur : des clients venus dîner au café-restaurant Aziz Istanbul, tombés sous les balles de plusieurs assaillants. Il y a plus d’un an et demi, le 15 janvier 2016, le même scénario avait eu lieu à 300 mètres de là, au café-restaurant Le Cappuccino. Ce dimanche 13 août, l’attaque a fait au moins 18 morts, dont huit étrangers.

Il était près de 20 h 30 lorsque deux jeunes individus à moto ont sorti leurs kalachnikovs et tiré sur les clients attablés à la terrasse de ce café-restaurant situé dans le centre-ville de Ouagadougou, sur l’avenue Kwame-Nkrumah. Les assaillants ont ensuite pénétré à l’intérieur de l’établissement. « C’était un carnage. Une scène d’horreur », nous confie un gendarme burkinabé qui a participé à l’assaut.

Les leçons du 15 janvier 2016

« Les premiers éléments des forces de défense et de sécurité burkinabées sont arrivés sur place à 21 h 30. Les assaillants étaient partis se retrancher dans les étages du bâtiment. Ça nous a un peu dispersés », reconnaît une source sécuritaire pour justifier l’heure de battement entre les premiers tirs, entendus vers 20 h 30, et les premiers contacts avec les forces spéciales burkinabées, établis une heure plus tard. « Mais ce laps de temps nous a permis d’évacuer rapidement les personnes retranchées à l’intérieur du restaurant, par la porte de derrière », poursuit notre source.

Sur la trentaine de personnes attablées à l’Aziz Istanbul dimanche soir, seule la moitié en sortira vivante. Une « boucherie » que Delphine Kaboré, une des serveuses de l’Aziz Istanbul, évoque à demi-mot, choquée : « J’étais à la caisse, en train de taper mes bons de commande, lorsque j’ai entendu des coups de feu. Les gens courraient partout dans le restaurant. J’ai fait pareil et je suis tombée. Les gens me marchaient dessus. Ça m’a blessée, l’os de mon bras est sorti », explique-t-elle, allongée sur un lit à l’hôpital Yalgado. Autour d’elle, sept autres blessés, tous en état de choc. Dans les couloirs, plusieurs personnes sont étendues à même le sol, le corps et le visage ensanglantés.

« Encore une fois », soupire un des infirmiers de l’hôpital en baissant ses yeux embués de larmes. Il fixe, l’air hagard, les tâches rouges qui parsème le carrelage blanc. C’est la deuxième fois que le personnel de l’hôpital Yalgado doit gérer les blessés d’un attentat. Le docteur Tinto, chirurgien traumatologue aux urgences de l’hôpital, se souvient de la première fois, le 15 janvier 2016 : trente morts et près de 70 blessés. « Nous avons tiré des leçons du 15 janvier. Cette fois, nous nous sommes mieux organisés. Les premiers blessés sont arrivés vers 21 h 30. Nous avons rapidement alerté tous les médecins du service pour qu’ils puissent renforcer l’équipe soignante en place », précise-t-il en arpentant les couloirs de l’hôpital.

A ses côtés, Alpha Oumar Dissa, le ministre des mines et de l’énergie, est venu apporter son soutien au personnel médical et aux éléments des forces de sécurité qui se sont également rendus à l’hôpital. Il se dit satisfait de la gestion des opérations menées par les forces spéciales burkinabées : « Face à une telle situation, il faut éviter d’instaurer un climat de psychose. Nous avons été agréablement surpris par votre capacité de réaction. »

Un schéma qui se répète

L’assaut, lancé en milieu de soirée, aura duré jusqu’à environ 4 h 30 lundi. Une nuit tantôt terriblement silencieuse, tantôt perturbée par les bruits assourdissants des tirs et des explosions. « Se retrouver ici, un an et demi plus tard, c’est très bizarre », lâche un journaliste venu couvrir l’événement. Autour de lui, des confrères, des militaires et une centaine de badauds poussés par la curiosité sont agglutinés sous le porche de l’hôtel Splendid. En face, on ne peut s’empêcher de lever les yeux vers l’enseigne, encore calcinée, du Cappuccino.

« Vous êtes avec nous ou contre nous ? Il faut que vous dégagiez la zone, vous vous mettez en danger ! », crie un gendarme pour disperser la foule. Il aura fallu attendre près de trois heures pour que des barrières soient installées et le périmètre totalement bouclé. Ni plus ni moins que lors de l’attaque du 15 janvier 2016. Face à un tel schéma qui se répète, les Ouagalais s'interrogent : les forces de sécurité ont-elles tiré suffisamment de leçons de l’attaque de 2016 ?

Sur l’avenue Kwame-Nkrumah, la circulation reprenait petit à petit lundi après-midi. Mais cette artère que l’on surnomme « les Champs-Elysées du Burkina Faso » a perdu une nouvelle fois son âme. Retranché sur une rue parallèle de l’avenue, un Burkinabé exprime son désarroi : « Ils ont tué Kwame-Nkrumah une deuxième fois. »