Bassine sur la tête, une Togolaise s’avance avec peine vers des ouvriers agrippés à des camions et des bulldozers qui tentent de gravir des collines de quelques mètres de haut. Comme à son habitude, elle est venue les approvisionner en boissons. Elle ne regarde pas où elle met les pieds, peu importe. Sous ses claquettes de fortune, au moins une dizaine de mètres de déchets, étalés et empilés sur plus de 35 hectares. A Agoè Nyivé, seule décharge de Lomé, s’entassent 80 % des déchets de la capitale togolaise. Depuis 2001, 280 000 tonnes de déchets y sont déposées chaque année.

Présentation de notre série : L’Afrique en villes

« Chef, ça ne va pas ! Depuis ce matin on est là, avec la pluie, ça ne passe pas », lance un des ouvriers à Madougnitou Kokou, responsable des déchets à la mairie. Derrière lui, un camion vient de déverser ses ordures. L’engin tente de sortir de la décharge, en vain. La boue bloque les roues. Au sommet de ces montagnes de détritus, des enfants fouillent à mains nues, à la recherche d’un hypothétique trésor qu’ils pourront ensuite revendre.

Un tiers du budget de la mairie

En 2030, la population de Lomé devrait atteindre 2,4 millions d’habitants, contre 1,4 million aujourd’hui. Ce qui implique d’énormes quantités d’ordures supplémentaires à gérer. Depuis 2008, la municipalité tente de reprendre les choses en main. « Nous avons restructuré la filière », détaille Kodjo Enoumodji, chef de la division propreté de la mairie : « Les habitants, qui collectaient auparavant de manière informelle les ordures dans leur quartier, ont été recensés et invités à créer leur micro-entreprise. »

Aujourd’hui, une trentaine d’entreprises de précollecte parcourent chaque jour les 69 quartiers de la capitale pour ramasser les ordures. Pour financer ce service, un prélèvement mensuel de 1 000 francs CFA (1,50 euro) par maison est prévu. « Mais c’est rare de trouver quelqu’un qui accepte de payer. On nous dit “revenez demain”, et le lendemain l’argent ne vient pas », explique Akouètè Adanke, directeur de SEF Togo, l’une des entreprises de précollecte.

Dans ces conditions, difficile pour la mairie d’y trouver son compte. Chaque année, elle dépense 1,5 milliard de francs CFA (2,3 millions d’euros) pour la collecte des ordures, soit près d’un tiers de son budget annuel. Pour la soulager, l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) lui apporte un soutien financier dans le cadre du Projet Environnement urbain à Lomé (PEUL). Depuis 2006, 13 millions d’euros ont été injectés, permettant à la mairie d’investir dans des infrastructures de gestion de déchets. Au total, le projet sera financé à hauteur de 21,2 millions d’euros par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), l’Union européenne (UE), l’AFD et la mairie.

« Valoriser les déchets »

Dans neuf mois, les ouvriers ne devraient plus avoir à pousser les camions enlisés dans la boue de la décharge d’Agoè Nyivé. « Un centre d’enfouissement technique [CET] est en train d’être construit. On y va ? », propose Madougnitou Kokou. Direction l’ouest de Lomé, dans le quartier Aképé. Au bout d’une piste, on aperçoit des casques d’ouvriers dépassant d’une immense fosse de 100 000 m2.

Les travaux, menés par les entreprises Eiffage, Coved Waste Africa et Grande Entreprise routière (GER), ont commencé il y a trois mois. C’est le projet phare de la deuxième phase du PEUL, qui prévoit d’enfouir chaque année près de 265 000 tonnes de déchets. « Il était temps, lâche un cadre du groupe français Eiffage. La décharge d’Agoè Nyivé est saturée depuis six ou sept ans… »

Pour éviter que le trou de huit mètres de profondeur du CET ne se transforme en montagne dans dix ans, il a été prévu de valoriser les déchets. « Notre idée, c’est de transformer la moitié des déchets de la décharge en combustible qui sera ensuite réutilisé dans les fours des cimentiers pour produire le clinker [un constituant du ciment] », explique Kodjo Enoumodji. Des études de faisabilité sont en cours pour un futur partenariat public-privé avec le groupe allemand HeidelbergCement et sa filiale togolaise Cimtogo.

De quoi rallonger la durée de vie de ce centre qui sera géré par l’entreprise togolaise GER. « Cover Waste Africa va former les équipes de GER pour qu’elles puissent à terme devenir autonomes, précise Clément Louis-Joseph, directeur des travaux chez Eiffage. Notre objectif est de faire émerger un acteur africain de la gestion des déchets. » Une nécessité quand on sait qu’en 2050, un quart de la population mondiale – et donc près d’un quart des déchets de la planète – sera en Afrique.

Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »

Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.