Anaïs Kervella

Un festival sans sponsor, sans subvention et sans bénévole. Un festival totalement indépendant sur le plan économique, n’ayant de compte à rendre à personne, sauf aux spectateurs qui achètent leur billet. À rebrousse-poil du modèle dominant, ce concept existe. Il s’appelle No Logo et est peut-être appelé à prospérer dans un contexte où les sources financières en faveur du spectacle vivant, privées et publiques, ont tendance à se tarir.

Consacrée au reggae et aux musiques du monde, la cinquième édition de ce festival à la différence revendiquée s’est tenue à Fraisans (Jura), sur le site d’une ancienne forge industrielle, du 11 au 13 août. Sa déclinaison bretonne – baptisée No Logo BZH – s’est déroulée en partie simultanément, les 13 et 14 août, au Fort de Saint-Père, à quelques kilomètres de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine).

Le mythique chanteur de reggae Linton Kwesi Johnson, lundi 14 août, sur la scène du No Logo BZH festival. / Anaïs Kervella

Un lieu que les amateurs de rock et de musique actuelle connaissent bien pour accueillir la Route du Rock, un festival solidement installé dans le paysage culturel de l’ouest de la France depuis de trente ans. Sa prochaine édition se tiendra le week-end prochain (17 au 20 août), au même endroit, avec les mêmes infrastructures (scène, buvettes, camping, toilettes…). La mutualisation est l’une des caractéristiques du festival No Logo. En témoigne également sa programmation partiellement commune avec celle de la manifestation mère située dans le Jura : Toots and the Maytals, Chronixx, Danakil, Ky-Mani Marley, la Rue Kétanou et Nattali Rize se sont ainsi produit sur les deux manifestations.

Michel Jovanovic, le cocréateur du No Logo festival. / Anaïs Kervella

Inspiré d’un livre à succès de la journaliste canadienne Naomi Klein – No Logo : la tyrannie des marques (Actes Sud, 2000) – ce concept de festival autonome n’est pas l’émanation d’une association altermondialiste, comme on pourrait le penser. Deux promoteurs privés sont à son origine, dont l’agent artistique Michel Jovanovic. Plusieurs groupes et chanteurs dont il gère les intérêts sont à l’ affiche chaque année à No Logo, ce qui explique aussi pourquoi aucun dossier de subventionnement n’a été déposé auprès des collectivités publiques.

Aucun logo sur les bâches blanches qui entourent la scène du festival. / Anaïs Kervella

Là n’est pas la seule raison, explique Michel Jovanovic : « Notre démarche est volontariste et, dans un certain sens, politique. L’idée est de pouvoir monter une programmation de manière libre et indépendante, sans être redevable de quoi que ce soit auprès des élus. Il est déjà arrivé de voir des artistes être déprogrammés car ils n’étaient pas politiquement corrects. »

La même logique a dicté le choix de ne faire appel à aucune marque, ni à aucun producteur de soda et d’alcool pour tenir les buvettes, comme cela est l’usage dans de nombreux festivals. Le site de No Logo peut afficher du coup fièrement sa neutralité : toutes les bâches et bannières inhérentes à ce genre de rassemblement sont blanches. L’affiche du festival est, elle, d’une totalité absolue.

Anaïs Kervella

Le personnel, quant à lui, est payé : « Nous avons sciemment écarté ce grand principe des festivals qu’est le bénévolat, poursuit Michel Jovanovic. Il n’y a pas de raison que les petites mains ne soient pas rémunérées alors que les artistes le sont. C’est non seulement une forme d’équité, mais aussi une façon de responsabiliser toutes les personnes qui travaillent sur le site. »

Le chanteur jamaïcain Chronixx / Anaïs Kervella

Tout ceci a évidemment un coût. Que seule l’adhésion du public peut venir compenser : « La politique politicienne est tellement décevante en ce moment que l’action passe aussi par des démarches alternatives comme celle-ci. Venir à No Logo en échange d’un prix d’entrée raisonnable [26 euros la soirée] est un moyen d’y participer. Et le choix du reggae, qui est une musique militante, n’est évidemment pas anodin. »

Reste à savoir si le business modèle de ce type d’événement est viable. Pour rentrer dans ses frais, le festival tablait sur 10 000 entrées par soirée. « On y fut presque le premier soir », indiquait Michel Jovanovic lundi, sans pouvoir dire si le bilan de cette première édition de No Logo BZH permettrait d’en organiser une deuxième l’an prochain.

Le groupe français Danakil. / Anaïs Kervella

Son souhait serait de voir essaimer un peu partout en France son idée de festival sans subvention ni sponsor : « Si d’autres organisateurs veulent récupérer le concept, libres à eux ». Mais pas sous l’appellation No Logo, que son instigateur a déposée juridiquement.