Une jeune fille prend de l’eau à une fontaine publique à Bouznika, près de Casablanca, au Maroc, en 2009. / ABDELHAK SENNA/AFP

Le porte-parole du gouvernement marocain n’a pas caché sa fierté lorsqu’il a annoncé, jeudi 3 août, l’adoption de deux décrets relatifs aux conditions de travail des employées de maison âgées de 16 à 18 ans. Présentés comme une avancée significative dans la protection des droits pour les jeunes travailleuses, les décrets ont toutefois suscité une vague d’indignation du côté des associations, qui regrettent des mesures « inapplicables » et « une loi prétexte » pour légaliser l’emploi des 16-18 ans. « Sous couvert de protéger les mineures, on légalise leur travail en douce. Ces décrets sont une excuse pour éviter d’interdire le travail des mineures », s’indigne une militante pour la scolarisation des petites filles au Maroc, qui souhaite rester anonyme.

Il y a un an pourtant, une loi avait donné un espoir à cette catégorie fragile de la population. En juillet 2016, le Parlement marocain avait voté une loi donnant pour la première fois un cadre juridique aux travailleuses domestiques, autrefois exclues du code du travail. Le texte fixe à 18 ans l’âge minimum de travail, avec une période de transition de cinq ans, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pendant laquelle les filles de 16 à 18 ans peuvent continuer de travailler. A l’époque déjà, cette autorisation avait fait polémique. Les responsables politiques s’étaient alors engagés à garantir la sécurité des jeunes travailleuses. Un an plus tard, le gouvernement a tranché : leur travail est légal, sous certaines conditions listées dans les nouveaux décrets.

Quinze travaux ménagers interdits

« Des conditions impraticables ! », dénonce Bouchra Ghiati, présidente de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf). Vivement critiqué depuis son entrée en vigueur le 10 août, un des décrets dresse une liste de quinze travaux ménagers interdits aux mineurs : l’utilisation du fer à repasser, des appareils électroniques ou tranchants, la manipulation des produits médicamenteux ou des détergents composés de substances reconnues dangereuses, entre autres. Mais comment faire appliquer ces mesures ? « Les domiciles sont inviolables. Les inspecteurs, déjà peu nombreux, et les assistantes sociales, qui n’ont pas de statut juridique, ne peuvent pas y accéder. Il est impossible de garantir les mesures de contrôle prévues par la loi », déplore Mme Ghiati.

La réalité des conditions de travail des jeunes travailleuses et les risques auxquels elles sont soumises au quotidien restent difficiles à appréhender. La plupart sont illettrées et l’information est difficile d’accès. Seules les associations œuvrent pour faire des campagnes de sensibilisation. Pour Khadija, 17 ans, femme de ménage depuis ses 11 ans, « aucun employeur ne respectera ces nouvelles mesures ». Victime de maltraitance de la part de son ancien employeur, Khadija fait partie des dizaines de milliers de jeunes filles en situation d’exploitation, soumises au trafic juteux des travailleuses domestiques.

Rien de prévu pour les moins de 16 ans

En 2016, le Haut-Commissariat au plan (HCP) estimait à 193 000 les enfants de 7 à 17 ans exerçant un travail dangereux, dont 42 000 filles. Selon une étude réalisée en 2010 par le Collectif pour l’éradication du travail des « petites bonnes », entre 60 000 et 80 000 Marocaines de moins de 15 ans seraient en situation d’exploitation dans des maisons à travers le pays. Pourtant, la loi ne prévoit rien pour les moins de 16 ans. « A ce jour, il n’existe aucun dispositif qui permette d’accompagner ces filles sur le plan psychologique et social. C’est comme si elles n’existaient pas », indique la présidente de l’Insaf.

Malgré un nouveau cadre juridique pour les travailleuses domestiques, leurs conditions sont toujours difficiles dans un pays qui a voté, paradoxalement, une loi sur la répression de la traite des êtres humains la même année. Les employés de maison n’ont droit qu’à 60 % du salaire minimum marocain (2 570 dirhams par mois, soit environ 225 euros), avec des horaires contraignants et des congés insuffisants. Et le gouvernement doit encore s’attaquer à un gros morceau : offrir aux travailleuses domestiques le droit à la couverture sociale, qui ne leur a encore jamais été accordé.