Barnaby Joyce, lundi 14 août, au Parlement australien. / STRINGER / REUTERS

Dans toutes les fratries surgissent des querelles aussi tempétueuses qu’incompréhensibles à tout membre extérieur du clan. Depuis le début de la semaine, l’Australie et son traditionnel « pays frère », la Nouvelle-Zélande, sont entrés de plain-pied dans un de ces psychodrames familiaux. Le gouvernement australien accuse, en effet, Wellington de déstabilisation, allant jusqu’à lui reprocher de s’être allié à l’opposition dans un « complot visant à sa chute ».

Derrière cette brouille se joue une autre curieuse histoire de famille. Celle du vice-premier ministre australien, Barnaby Joyce. Ce dernier a découvert avec stupeur, lundi 14 août, en pleine session parlementaire, qu’il n’était, en réalité, pas australien. Ou du moins, pas que. Né en 1967 dans la ville australienne de Tamworth d’un père néo-zélandais, Barnaby Joyce bénéficie à ce titre de la double nationalité, selon une loi néo-zélandaise qui a couru de 1949 à 1978.

« Comment avons-nous pu être aussi aveugles ? »

« J’ai été très choqué de l’apprendre. Ni mes parents ni moi-même n’avions jamais eu la moindre raison de penser que je puisse être citoyen d’un autre pays », a réagi Barnaby Joyce devant ses collègues parlementaires. Un comble, en effet, pour ce politicien qui cultive de longue date l’image d’un Australien pur et dur, portant souvent un akubra, chapeau à larges bords typique de l’Australie rurale. L’élu de 50 ans avait notamment acquis une notoriété internationale en menaçant de faire euthanasier les chiens de l’acteur Johnny Depp entrés illégalement en Australie.

Le vaudeville politique a provoqué nombre de réactions dans le pays et une hilarité difficilement contenue des réseaux sociaux. « Comment avons-nous pu être aussi aveugles ? », s’interroge ainsi sur Twitter un journaliste du Huffington Post Australia :

L’épisode domestique aurait pu rester de l’ordre de l’anecdote, s’il ne mettait pas en péril la majorité au Parlement. Une loi australienne interdit, en effet, à quiconque d’occuper une charge publique s’il n’est pas exclusivement australien.

Majorité vacillante

Or, le premier ministre libéral, Malcolm Turnbull, ne dispose que d’un seul siège d’avance pour sa majorité. Une démission forcée de Barnaby Joyce pourrait ainsi bouleverser tout l’échiquier politique du pays et propulser un nouvel habitant au Lodge de Canberra, résidence du premier ministre.

Quid de la Nouvelle-Zélande dans ces révélations ? La coalition libérale australienne au pouvoir a tout simplement accusé l’opposition travailliste d’avoir poussé le Parlement néo-zélandais à exhumer cette obscure loi à l’origine des révélations sur la double nationalité de Barnaby Joyce. Un élu travailliste avait, en effet, formulé deux questions le 9 août dernier sur le sort exact des enfants nés de parents néo-zélandais en Australie.

Le ministre de la défense australien, Christopher Pyne, a ainsi accusé l’opposition travailliste d’être « impliquée dans un complot utilisant un gouvernement étranger, dans ce cas, la Nouvelle-Zélande, pour provoquer la chute du gouvernement australien ». Et l’élu de renchérir dans l’absurdité :

« Avec combien d’autres gouvernements étrangers ou d’autres partis dans des pays étrangers les travaillistes sont-ils en train de s’allier pour faire tomber le gouvernement australien ? Avec des gens en Indonésie, en Chine, ou avec le Parti travailliste britannique ? »

La ministre des affaires étrangères australiennes, Julie Bishop, a renchéri, prévenant la Nouvelle-Zélande que « la confiance sera très dure à reconstruire » entre les deux pays, surtout si l’opposition travailliste s’impose à Wellington lors des prochaines élections de septembre. « Nous craignions que le parti d’opposition néo-zélandais menace la stabilité d’un partenariat d’habitude très fort entre nos deux nations », a martelé la ministre.

« Je pense que c’est du jamais-vu »

« La farce parlementaire », comme le titrait mardi 15 août le Huffington Post, prend ainsi une ampleur diplomatique imprévue. La dirigeante travailliste néo-zélandaise, Jacinda Ardern, tout juste élue, a exprimé sa « déception » devant ces « accusations sans fondement ». Elle a ainsi proposé à Julie Bishop de l’appeler – elle-même ne pouvant le faire, faute d’un numéro où la joindre, a-t-elle précisé.

Las, le député travailliste néo-zélandais, à l’origine des questions ayant provoqué le conflit entre les deux nations, a confié, mardi, qu’il ne les aurait « jamais posées s’il avait su ce que cela provoquerait derrière ». Il a encore affirmé les avoir formulées « par curiosité » et « sans avoir eu connaissance de la situation problématique potentielle de Barnaby Joyce ».

Ce dernier a expliqué au Parlement, mardi, que les autorités de Wellington avaient accepté qu’il renonce à la nationalité néo-zélandaise. Le sort du premier ministre adjoint de 50 ans est désormais entre les mains de la Haute Cour australienne. « C’est peut-être haka la vista pour Barnaby », écrivait, pour sa part, mardi le Brisbane Courier Mail.

De son côté, le gouvernement néo-zélandais a profité que le Parti travailliste soit sur le gril pour abonder dans le sens des libéraux Australiens et tenter de grapiller des points dans les sondages. « C’est extraordinaire qu’un membre du Parlement néo-zélandais ait accepté d’être utilisé par un parti d’un autre pays », a affirmé le ministre des affaires étrangères kiwi, Gerry Brownlee. Avant de conclure : « Je pense que c’est du jamais-vu. »