« Lorsque les soldats sont entrés dans le village, ils ont massacré tout le monde. Ils ont tué ma femme. » En décembre 2016, l’armée sud-soudanaise a mené une opération punitive dans le village de James, dans le district de Morobo. Lui a pu s’enfuir dans la brousse avec ses deux enfants. Ils y ont survécu pendant six mois, avant de se résoudre à quitter le Soudan du Sud. Une marche éreintante de cinq jours avant d’atteindre l’Ouganda, où ils ont rejoint les nombreux Sud-Soudanais qui y ont trouvé refuge. « Je ne sais pas à quoi j’ai droit, reprend James, anxieux. Mais l’essentiel est que je sois ici en sécurité avec mes fils. »

Le nombre de réfugiés sud-soudanais présents en Ouganda va dépasser le million cette semaine, si l’on en croit le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le pays est internationalement reconnu comme terre de refuge pour tous ceux qui fuient les nombreuses crises politiques que connaît la région (Burundi, RDC, etc.). C’est particulièrement vrai pour ceux qui viennent du Soudan du Sud, en proie à une guerre civile qui oppose depuis fin 2013 les partisans du président, Salva Kiir, à ceux de son rival (et ancien vice-président) Riek Machar.

En 2006, une loi sur les réfugiés a même été adoptée, qui accorde à chaque famille fuyant un conflit un lopin de terre pour habiter et un autre pour cultiver, en attendant que la paix revienne dans leur pays. Des terres obtenues auprès des communautés et des propriétaires en contrepartie de la mise en place d’infrastructures (écoles, centres de santé) par les ONG et les institutions internationales. Théoriquement, l’installation des réfugiés représente aussi une opportunité de développer le marché du travail pour les populations locales.

Prostitution et petite délinquance

Mais dans le nord du pays, ce modèle donnant-donnant est aujourd’hui à bout de souffle. Depuis janvier, ils sont ainsi 295 000 à être arrivés sur le sol ougandais, avec une moyenne évaluée à 1 400 par jour. Devant la pression, les parcelles de culture attribuées aux réfugiés par le bureau du premier ministre ont été considérablement réduites, voire annulées pour les derniers arrivants. « La question des terres arables disponibles est un vrai problème », admet Bik Lum, à la tête du HCR dans la sous-région : « Le flot d’arrivées est continu, et contrairement à d’autres crises, nous ne savons pas quand cela va s’arrêter. »

Mais ce sont les coupes dans les aides du Programme alimentaire mondial (PAM) – à court de financement lui aussi – qui provoquent le plus de mécontentement chez les réfugiés. Mary Nyanror est une Dinka, l’ethnie du président sud-soudanais Salva Kiir. Elle est arrivée en Ouganda il y a trois ans avec ses proches, pour « fuir les combats d’abord, mais aussi la faim ». Aujourd’hui, sa case en terre battue recouverte de chaume ressemble à s’y méprendre à celles des autres villages traditionnels du nord de l’Ouganda. Mary Nyanror s’emporte contre le PAM, qui a encore réduit l’aide qu’elle reçoit. « Nous n’avons plus que 17 000 shillings [environ 4 euros] par mois et par personne, s’indigne-t-elle, alors que nous en avions 50 000 il y a un an. Qu’est-ce qu’on peut acheter avec ça ? »

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Durée : 01:25

Dans les camps, ces restrictions ont provoqué des mouvements de mécontentement et des personnels du PAM ont été pris à partie à plusieurs reprises ces derniers mois. « Ces coupes, qui touchaient jusque-là les réfugiés les plus anciens, concernent désormais les nouveaux arrivants », s’alarme Isabelle D’Haudt, conseillère à l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) : « Cela les pousse à trouver d’autres moyens. On observe ainsi une montée des transactions sexuelles pour obtenir de l’argent ou de la nourriture. » Prostitution mais aussi petite délinquance : la question sécuritaire commence à devenir une préoccupation pour les institutions humanitaires, qui réclament plus de forces de police pour patrouiller dans les camps.

Manifestations et tensions

Du côté des populations locales, le compte n’y est plus également. « Il y a eu des manifestations pour protester contre le fait qu’il n’y avait pas assez de travail pour les locaux, poursuit Isabelle D’Haudt. A Moyo, l’ONG World Vision s’est fait expulser par les autorités du district parce qu’elle n’embauchait pas de gens de la région. » En mars 2017, le responsable du camp d’Imvepi a par ailleurs été retenu en otage durant toute une journée par des jeunes armés de machettes, qui l’ont forcé à venir se rendre compte des conditions de vie dans leur village. Les humanitaires craignent qu’avec les mauvaises récoltes de cette année et l’augmentation des prix de la nourriture, les tensions s’aggravent encore.

Ecole Ocea, au camp de Rhino, en Ouganda, le 31 juillet 2017. Les élèves s’entassent désormais à plus de 100 par classe. / Gaël Grilhot

Quant aux services partagés par les communautés locales, ils sont eux aussi de plus en plus affectés par le nombre croissant de réfugiés. « Nos effectifs sont passés de 1 450 à plus de 2 500 enfants en un an, s’inquiète ainsi Simon Abukua, directeur d’une école primaire, avec des classes qui sont passées de 50 à 110 élèves. Les parents des locaux se plaignent du mauvais niveau d’éducation que reçoivent leurs enfants. » Des postes d’enseignants sont certes financés par des ONG, mais leur nombre est toujours insuffisant et les salles de classe sont trop petites pour exercer dans de bonnes conditions.

Officiellement, le gouvernement et le HCR nient ou minimisent la montée de ces tensions au sein des camps ou des populations locales. Mais ils préviennent cependant que le fragile modèle ougandais est tout proche du point de rupture. « Nous devons gérer à la fois une crise d’urgence et une crise de développement, insiste Bik Lum, du HCR. Et cela a un coût. » A peine 23 % des 880 millions de dollars (environ 740 millions d’euros) évalués par l’institution pour gérer l’une des plus importantes crises de réfugiés au monde ont pour le moment été pourvus.

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