Neymar et Nasser Al-Khelaïfi, au Parc des Princes, le 5 août. / ALAIN JOCARD / AFP

En apparence, l’équation semble insoluble. Comment le Paris-Saint-Germain peut-il rester, à moyen terme, dans les clous du fair-play financier (FPF), ce mécanisme introduit en 2011 par l’Union des associations européennes de football (UEFA) et en vertu duquel les clubs ne peuvent dépenser plus qu’ils ne gagnent ? Alors qu’elle devrait coûter au minimum 500 millions d’euros sur cinq ans, l’arrivée du Brésilien Neymar Jr expose-t-elle le PSG version Qatar Sports Investments (QSI) à de nouvelles sanctions après celles prononcées contre lui, en 2014, par la chambre d’instruction de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) ?

Si on ignore encore les contours du montage financier échafaudé pour le transfert de l’attaquant du FC Barcelone, les dépenses somptuaires (clause libératoire de 222 millions d’euros, 30 millions de salaire annuel) consenties renvoient à la viabilité du modèle économique de la formation de la capitale. Une problématique ravivée par la possible arrivée à Paris du prodige monégasque Kylian Mbappé, 18 ans, contre des indemnités (180 millions d’euros, dont 20 millions de bonus) et un salaire (18 millions d’euros brut annuels sur cinq saisons) astronomiques.

Pour échapper aux fourches caudines du FPF, le PSG peut tabler sur une hausse de ses revenus liés au sponsoring (150 millions d’euros sur l’exercice 2015-2016) et aux droits audiovisuels (124 millions) ainsi que sur le fameux contrat (175 millions d’euros par saison) scellé, en août 2016, avec l’autorité du tourisme du Qatar (QTA). En 2014, le précédent contrat avec QTA avait été décoté de moitié par l’UEFA.

Jadis déficitaire, le club affiche par ailleurs un bilan excédentaire ces deux dernières saisons. Selon les chiffres divulgués par la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG), le PSG présentait un résultat de 10,38 millions d’euros au terme de la saison 2015-2016.

Masse salariale écrasante

Mais, pour absorber ses dépenses, la formation entraînée par l’Espagnol Unai Emery devra inévitablement vendre plusieurs joueurs et ainsi amorcer un semblant de changement de cap. Le premier objectif des dirigeants du club sera d’alléger une masse salariale écrasante (292 millions d’euros sur 2015-2016). « Le PSG doit démontrer qu’il peut avoir des pertes sur trois ans qui ne dépassent pas 30 millions d’euros, rappelle l’UEFA, qui examinera en octobre les comptes – clôturés en juin – du PSG et ne se prononcera sur le dossier Neymar qu’à l’automne 2018. Le mercato n’est pas terminé. Le club peut prévoir de vendre plusieurs joueurs pour un montant équivalent ou supérieur. On fera donc les comptes à la fin. »

Or l’équipe parisienne, constamment renflouée par l’inépuisable manne de l’Etat qatari, n’a pas beaucoup vendu depuis son rachat, en 2011, par QSI. En six ans, le PSG ne s’est délesté que d’une vingtaine de joueurs, dont le défenseur Mamadou Sakho, formé au club et enrôlé contre 19 millions d’euros par Liverpool en 2013, et le Brésilien David Luiz, cédé à Chelsea, en 2016, pour 38,5 millions d’euros. Le cinquième prêt en cinq ans (à Utrecht) de l’attaquant Jean-Christophe Bahebeck, sous contrat jusqu’en 2019, confirme la difficulté persistante qu’a l’institution parisienne à amincir son effectif.

Pour équilibrer ses comptes, la formation de la capitale a vendu à Leipzig, cet été, l’attaquant Jean-Kévin Augustin pour 13 millions d’euros. Avec dix joueurs à caractère offensif dans son vestiaire, elle cherche désormais à « caser » son lot d’éléments « placardisés » voire « indésirables » (Ben Arfa, Krychowiak). Parmi eux, l’Espagnol Jesé a d’ailleurs été… prêté (sans option d’achat) à l’équipe anglaise de Stoke City. Les dirigeants parisiens veulent ainsi céder plusieurs joueurs grassement rémunérés comme l’Ivoirien Serge Aurier, le milieu des Bleus Blaise Matuidi, au club depuis 2011 et annoncé en partance pour la Juventus Turin contre 20 millions d’euros, ou le Brésilien Lucas.

« La phase trois de QSI »

Ces ventes à marche forcée marqueraient une rupture pour le PSG, doté aujourd’hui d’un budget pharaonique (540 millions d’euros) et habitué jusqu’ici à enrôler à prix d’or des stars (Javier Pastore, en 2011, contre 42 millions d’euros ; Thiago Silva, en 2012, contre 42 millions d’euros ; Edinson Cavani, en 2013, contre 64 millions d’euros ; David Luiz, en 2014, contre 49,5 millions d’euros ; Angel Di Maria, en 2015, contre 63 millions d’euros) sans alléger son effectif. Une stratégie orientée vers la stabilité et incarnée par le vétéran italo-brésilien Thiago Motta, 35 ans, au club depuis 2012, ou le Brésilien Maxwell, promu « coordinateur sportif » après cinq ans (2012-2017) passés à briller à Paris comme arrière gauche.

« Il s’agit de la phase trois de QSI, estime Pierre Rondeau, économiste du sport. La phase zéro coïncidait avec l’arrivée de l’actionnaire et la mise en place du projet avec Kombouaré et Ancelotti, la renommée de Paris restait à construire. La phase une est celle de Zlatan Ibrahimovic et Thiago Silva. QSI a alors enclenché une dynamique outrancière, dépensière et ambitieuse. Face à la contrainte du fair-play financier, le PSG a changé de stratégie et passé à la phase deux en misant sur un développement à long terme, avec un entraîneur bâtisseur et des joueurs moins connus mais avec du potentiel. Le FPF agit comme du darwinisme social : face à un changement d’environnement, les plus forts l’emportent et s’améliorent. »

« Le PSG est ensuite passé à la phase trois, celle de la machine de guerre, poursuit M. Rondeau. Depuis le FPF, le PSG a diversifié ses actifs et amélioré sa gestion comptable et a cherché à dépenser plus. Le résultat est l’arrivée de Neymar, et on parle de celle de Mbappé… » Aspirant à une victoire en Ligue des champions (55 millions d’euros de revenus attendus en cas de triomphe), le PSG est passé à la vitesse supérieure en enrôlant, cet été, le Portugais Antero Henrique comme directeur sportif.

Le rôle du directeur sportif Antero Henrique

Salarié et recruteur en chef du FC Porto durant un quart de siècle (1990-2016), le technicien est connu pour avoir fait des Dragons les champions de la plus-value à une époque où la tierce propriété (TPO), désormais interdite par la FIFA, était une pratique courante au Portugal. On lui doit ainsi les ventes record de joueurs comme Lucho Gonzalez, Deco, Hulk ou Falcao. « Peu de gens assimilent le fait qu’Antero Henrique a été le champion du trading joueurs à Porto et a été recruté pour développer et exploiter cette activité au PSG, indique Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance de l’AS Saint-Etienne et patron du syndicat Première Ligue, qui réunit la plupart des clubs de l’élite. C’est un système intelligent qui est une parade au fair-play financier. Je suis sûr que le PSG sera dans les clous du FPF et ne sera pas sanctionné. »

Epaulé par le recruteur Luis Ferrer, spécialiste du marché argentin, Antero Henrique sera chargé de prospecter de jeunes talents afin de les revendre au meilleur prix. L’achat, à l’été 2016, de Giovanni Lo Celso (contre 10 millions d’euros), 21 ans, et le recrutement probable de Juan Foyt, 19 ans, attestent d’une volonté de tirer une plus-value d’éléments qui, barrés au PSG et prêtés, s’aguerriront dans d’autres équipes.

« Le PSG n’a pas exploité jusqu’à présent le filon du trading joueurs comme Porto ou Monaco (173 millions d’euros collectés cet été grâce à la vente de Bernardo Silva, Valère Germain, Tiémoué Bakayoko et Benjamin Mendy), fait remarquer Bernard Caïazzo. Ce sera le cas désormais. Avant, le PSG ne vendait pas de joueurs. Il va être désormais obligé de vendre certains remplaçants et ainsi faire des économies de salaires. »

Par ailleurs, le retour au club de l’ex-capitaine et ancien entraîneur parisien (1994-1996 ; 2000-2003) Luis Fernandez au poste de directeur sportif du centre de formation confirme le souhait des dirigeants de relancer l’académie. Et aussi d’éviter la fuite de talents incarnée par la vente à la Juventus Turin, en 2014, de Kingsley Coman, désormais sous les feux de la rampe au Bayern Munich.

« Ce n’est pas un changement de modèle »

Peut-on vraiment parler d’un changement stratégique ? « Ce n’est pas aussi simple que ça. Ce n’est pas un changement de modèle, nuance Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique lyonnais et membre influent du board de l’Association européenne des clubs (ECA). Quand Lyon a une tradition “d’obligation” d’avoir à céder ses meilleurs joueurs, ce sont des joueurs qu’on a formés. Avec une stratégie d’éducation. Chaque année, l’OL investit entre 10 et 12 millions d’euros dans ses académies masculine et féminine pour avoir les meilleurs joueurs. Dans ce cas-là, on est dans des cessions dont la plus-value est significative car le prix de revient est celui de la formation. A chaque fois, la plus-value est égale au prix de cession du joueur. »

« Là, au PSG, on n’est pas dans ce cas-là, poursuit M. Aulas. Pour faire une plus-value, ce qui compte est que l’achat antérieur ait été fait dans de bonnes conditions. Je ne pense pas que, par exemple, ni Jesé ni Krychowiak aient été achetés à un prix suffisamment bas pour qu’ils génèrent des plus-values. Ce ne sont pas des joueurs formés par l’académie du PSG. Je ne sais pas si cela fait l’objet d’un modèle ou d’une opportunité… L’OL et d’autres ont écrit un modèle et s’y tiennent. Cela ne se décrète pas en un jour. L’opération Neymar s’est décrétée après la défaite contre le Barcelone en huitièmes de Ligue des champions. Je ne sais pas si la charrue n’a pas été mise avant les bœufs ni si cela fait l’objet d’une vraie stratégie. »