Ancien président de SOS Racisme, ancien député européen et ancien membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Franco-Sénégalais Fodé Sylla ne cache pas sa déception sur les faibles progrès de la France en matière d’intégration des jeunes issus de l’immigration. Pour celui qui est devenu, en 2014, ambassadeur itinérant du Sénégal, Emmanuel Macron a néanmoins réussi là où ses prédécesseurs socialistes ont échoué.

Plus de trente ans après « touche pas à mon pote », comment expliquez-vous que le débat sur la diversité soit encore d’actualité dans la société française ?

Fodé Sylla Ma génération, celle qui a fondé SOS Racisme autour de Julien Dray ou d’Harlem Désir, est marquée par la déception, par le renoncement. Nous étions loin de penser que trente ans après la promesse de François Mitterrand, la gauche n’aurait toujours pas rendu effectif le droit de vote des immigrés. Il aura fallu l’arrivée d’Emmanuel Macron pour qu’on enregistre à l’Assemblée le plus grand nombre de députés issus des diversités maghrébine et subsaharienne.

Pourquoi la gauche, votre famille politique, a-t-elle échoué sur la diversité ?

Pour moi, deux facteurs essentiels se conjuguent pour expliquer cet échec. D’abord, la gauche n’a pas résisté au discours anti-immigrés et anti-mondialisation qui a prétendu que ces deux éléments étaient la cause des difficultés de la France. Le second facteur, c’est le braconnage de toute la classe politique, y compris la gauche, sur les terres du Front national.

On en est arrivé à se dire, dans les partis de gouvernement, que puisque le curseur penche du côté du rejet de l’autre, voire de la xénophobie, c’est vers là qu’il faut aller. N’oublions pas la tirade de Michel Rocard : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». N’oublions pas ce que fut la politique du premier ministre socialiste Manuel Valls à l’égard des Roms.

La République n’a pas été capable de mener des politiques courageuses en faveur des diversités. Il faut donc dépasser le cadre politique traditionnel pour aller vers des alternatives porteuses d’un meilleur avenir pour les jeunes issus de l’immigration. Cela a toujours été mon combat, que ce soit à SOS Racisme, au Parlement européen, au CESE ou à Areva. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé, lors de la dernière présidentielle, le Collectif des binationaux et des amis de l’Afrique, une structure qui a finalement appelé à voter pour Emmanuel Macron.

Iriez-vous jusqu’à dire que s’ouvre en 2017 une ère nouvelle pour l’accès des personnes issues de l’immigration à des postes importants de la vie publique française ?

Pendant la campagne, je suis allé voir comment travaillaient les équipes autour de certains candidats. J’ai été impressionné par la diversité de celle du candidat Macron. L’ambiance que j’y ai trouvée m’a rappelé, à certains égards, celle de SOS Racisme à ses débuts, ce mélange de personnes sans considération de couleur de peau ou de religion. J’avoue avoir été impressionné par la place occupée par une jeune femme comme Sibeth Ndiaye dans la campagne. Si cette équipe, qui représente pour moi la France réelle, a pu conduire à la victoire de Macron, c’est que la France est prête pour une société plurielle, métissée et multiculturelle. Quelle que soit leur origine, les jeunes aujourd’hui engagés en politique fréquentent les mêmes crèches, les mêmes écoles. La diversité doit être considérée comme un acquis de la société française.

La place accordée à la diversité suffira-t-elle à dépasser le débat sur l’immigration si la France ne solde pas définitivement son passé colonial ?

Il me semble important et même incontournable que la France règle définitivement son histoire coloniale, notamment s’agissant de la guerre d’Algérie. Emmanuel Macron a ouvert une brèche en déclarant à Alger que la colonisation était un crime contre l’humanité. A présent, il faut aller plus loin, non pas pour obtenir des réparations financières mais pour que cette histoire douloureuse soit enseignée dans les écoles de la République.

Les jeunes Français doivent savoir qu’en octobre 1961, des Algériens qui manifestaient à Paris pour l’indépendance de leur pays ont été jetés dans la Seine par la police ; qu’en 1947, des combattants français, qu’on appelait alors tirailleurs sénégalais, ont été massacrés [à Thiaroye, au Sénégal] par d’autres soldats français alors qu’ils ne faisaient que réclamer le paiement de leur solde. Poser ces questions-là, ce n’est pas choisir une posture passéiste, mais contribuer au vivre-ensemble dans de meilleures conditions.

En 2014, vous êtes retourné au Sénégal, votre pays d’origine. Une décision dictée par l’amertume envers la France dans laquelle vous n’auriez pas eu la place à laquelle vous aspiriez ?

Non, je ne dirais pas cela. Le président Macky Sall a estimé, à juste titre d’ailleurs, qu’il était important d’associer la diaspora sénégalaise à la construction nationale. Au regard de mon expérience, de mon parcours et de mon carnet d’adresses, il m’a fait l’honneur de m’appeler à ses côtés pour que je participe, avec d’autres Sénégalais de la diaspora, à l’œuvre de construction d’un Sénégal émergent. D’ailleurs, lors des dernières législatives [le 30 juillet], quinze sièges de députés ont été réservés aux Sénégalais de l’étranger.

L’Afrique ne doit pas être frileuse avec sa diaspora. Elle doit au contraire chercher à capitaliser sur l’expérience acquise par ses enfants ayant grandi hors du continent. Appartenir au pays d’accueil et à celui d’origine est une fortune dont il faut savoir tirer profit. Bien que désormais ambassadeur itinérant du Sénégal établi à Dakar, je suis revenu en France lors de la présidentielle pour m’engager dans la campagne.