Des passants se mettent à l’abri après l’attaque terroriste,  à Barcelone, le 17 août. / PAU BARRENA / AFP

Comme tous les mois d’août, Barcelone était bondée de touristes. Jeudi 17 août en fin d’après-midi, un homme au volant d’une camionnette a commis un attentat terroriste en fonçant dans la foule qui se promenait tranquillement sur les Ramblas, l’avenue emblématique du centre-ville, semant la panique et la mort. Quelques heures plus tard, dans la nuit, un deuxième attentat sur le même mode opératoire est survenu à Cambrils, à 120 km au sud de Barcelone, blessant sept personnes, dont un policier.

Le bilan provisoire du premier attentat, de treize morts, « pourrait encore augmenter », a précisé le conseiller de l’intérieur du gouvernement catalan, Joaquim Forn, car « une quinzaine » de personnes parmi la centaine de blessés se trouvaient « dans un état très grave ».

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Les victimes sont pour la plupart des touristes, venus d’au moins 18 pays. Parmi elles, vingt-six Français ont été blessés, dont au moins onze grièvement, a annoncé le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Le ministre de l’intérieur français, Gérard Collomb, a évoqué 17 blessés graves et indiqué qu’aucune « ramification » en France n’avait été établie pour le moment. Le ministre des affaires étrangères belge, Didier Reynders, a annoncé qu’une Belge avait été tuée dans l’attentat. Il y aurait également des ressortissants allemands, néerlandais, argentins, vénézuéliens, australiens, hongrois, péruviens, irlandais, grecs, cubains, chinois, italiens, macédoniens, roumains et algériens.

L’organisation Etat islamique (EI) a revendiqué dans la soirée la responsabilité du premier attentat dans un message diffusé par son organe de propagande, Amaq, relayé par le centre américain de surveillance des sites terroristes. « Les auteurs de l’attaque de Barcelone sont des soldats de l’Etat islamique et ont mené une opération en réponse aux appels à cibler les Etats membres de la coalition », a dit Amaq, en référence à la coalition menée par les Etats-Unis contre l’EI en Syrie.

L’Espagne n’avait pas connu d’attentats depuis 2004, lorsque l’explosion d’une dizaine de bombes dans des trains rejoignant la gare d’Atocha, dans le centre de Madrid, avait fait 191 morts et près de 2 000 blessés. Pourtant, Al-Andalus (les territoires de la péninsule Ibérique sous domination musulmane au Moyen Age) figurait depuis longtemps parmi les objectifs de l’EI.

Le conducteur « zigzaguait »

Peu avant 17 heures, une camionnette blanche s’est engagée dans l’allée centrale des Ramblas, l’artère qui relie la place de Catalogne au vieux port, noire de monde en cette belle après-midi ensoleillée. Le véhicule, « qui roulait à grande vitesse, a fauché tout le monde sur une distance d’un peu plus de 500 mètres », a expliqué plus tard Josep Lluís Trapero, le chef de la police catalane, les Mossos d’Esquadra, qui mène l’enquête avec la police nationale et la garde civile.

Des témoins ont raconté que son conducteur « zigzaguait » pour faire un maximum de victimes. « On a vu des gens sauter dans les airs. C’était horrible », a raconté au quotidien El Pais une touriste belge, Ellen Vercamm. Les vidéos amateurs qui ont circulé sur Internet ont montré des corps ensanglantés gisant sur l’avenue, des images qui rappelaient l’attentat de Nice du 14 juillet 2016. « Les secours sont arrivés très vite », a déclaré un autre passant, Daniel Aragonés.

Un témoin a dit avoir vu dans la camionnette « un homme très jeune, d’une vingtaine d’années, au visage mince ». Le véhicule s’est arrêté à la hauteur du grand théâtre du Liceu, l’opéra de Barcelone, située sur les Ramblas. Le conducteur est alors sorti « apparemment sans armes », a expliqué le responsable de la police « et sans lancer de cris ». Profitant de la confusion, il s’est s’enfui à pied.

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« On a vu arriver des gens qui remontaient en courant les Ramblas, notamment des touristes en panique, a raconté le journaliste du Monde Gilles Rof, qui était sur place. On a commencé à voir arriver des ambulances, j’en ai compté cinq en une dizaine de minutes. Petit à petit, des voitures de police se sont aussi positionnées en haut des Ramblas, près de la place de la Catalogne, pendant que des touristes couraient pour s’enfuir des lieux. »

La zone a immédiatement été bouclée par un cordon de sécurité, les stations de métro proches de la place de Catalogne ont été fermées et la population priée par les autorités de se tenir éloignée du lieu de l’attaque. Barcelone, d’un seul coup, s’est vidée. La police a demandé à tous les établissements proches des Ramblas de fermer leurs portes et de garder leurs clients, qui n’ont pu sortir que six heures plus tard.

Un deuxième attentat a eu lieu vers minuit, dans la ville côtière de Cambrils, à 120 kilomètres au sud de Barcelone. La police catalane y a abattu « cinq terroristes présumés » qui venaient de foncer dans la foule qui se promenait tard ce soir-là sur une avenue près de la plage, faisant six blessés. D’après la version d’un porte-parole du gouvernement catalan, les assaillants « circulaient à bord d’une Audi A3 et ont apparemment renversé plusieurs personnes avant de se heurter à une patrouille des Mossos d’Esquadra. Et la fusillade a commencé ». Dans une vidéo amateur, diffusé par la chaîne TVE, on pouvait entendre plusieurs tirs d’armes à feu au milieu des sirènes de police.

Trois jours de deuil national

Peu après minuit, le premier ministre, Mariano Rajoy, qui s’était immédiatement déplacé à Barcelone, a dénoncé l’attentat en conférence de presse et appelé les Espagnols à l’unité. « Nous serons unis dans la volonté ferme de vaincre ceux qui veulent nous priver de nos valeurs et de notre mode de vie, a déclaré le premier ministre. Les Espagnols connaissent très bien cette douleur absurde et irrationnelle, car nous avons déjà été touchés. Mais nous savons que les terroristes peuvent être vaincus. » M. Rajoy a annoncé trois jours de deuil national.

« La Catalogne a toujours été une terre de paix, a déclaré le président catalan, Carlos Puigdemont, nous n’accepterons pas qu’une minorité change notre manière d’être. » Très émue, Ada Colau, la maire de Barcelone, a revendiqué l’identité « ouverte et cosmopolite » de sa ville. « Ce sont des assassins, des criminels, qui ne vont pas nous terroriser. Toute l’Espagne est Barcelone. Les Ramblas appartiendront à nouveau à tout le monde », a fait savoir le roi Felipe VI sur le compte Twitter de la maison royale.

Tous devaient assister, ainsi que les principaux responsables des différents partis, à une grande manifestation convoquée sur la place de Catalogne vendredi. Une minute de silence devait y être observée à midi en hommage aux victimes. Un rare élan d’unité dans une Espagne divisée par de profondes fissures politiques, par la crise, et par le débat sur l’indépendance de la Catalogne.

La Catalogne et en particulier Barcelone ont longtemps été considérées comme des plaques tournantes du djihadisme du sud de l’Europe. Un rapport du think tank Real Instituto Elcano datant de 2016 précisait que « la région métropolitaine de Barcelone [était] le principal foyer du terrorisme djihadiste en Espagne ». Quelque 160 « combattants » basés en Espagne ont rejoint l’EI en Syrie et en Irak, selon cette étude – contre sans doute plus d’un millier de Français depuis 2012. Vingt-neuf seraient morts sur place et 20 en sont revenus.

259 arrestations depuis 2012

A Barcelone, la police catalane a mené plusieurs opérations antiterroristes d’envergure. En avril, neuf personnes, dont quatre liées à des suspects interpellés dans l’enquête sur les attentats de mars 2016 à Bruxelles, ont été arrêtées. En 2015, une cellule djihadiste de onze suspects (cinq ressortissants marocains, cinq Espagnols convertis à l’islam et un Paraguayen) qui avait l’intention de commettre des attentats en Catalogne a également été démantelée par les Mossos.

L’Espagne a été moins touchée par le djihadisme que la France, mais la menace terroriste est restée une priorité. Depuis les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, Madrid a maintenu un niveau d’alerte 4 (sur une échelle de 5) qui implique la surveillance des infrastructures importantes (aéroports, gares, centrales nucléaires), le renforcement du nombre de policiers dans les rues et l’activation de toutes les forces dédiées à la prévention en matière de lutte antiterroriste.

Depuis 2012, d’après les chiffres publiés début août par le ministère espagnol de l’intérieur, 259 personnes ont été arrêtées en Espagne en lien avec le terrorisme djihadiste, dont 77 en Catalogne et 62 pour la seule province de Barcelone.