Comme des millions de migrants italiens, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti avaient débarqué à Ellis Island, dans la baie de New York, vingt ans plus tôt. / Rue des Archives/PVDE

Quatre-vingt-dix ans ont passé depuis l’exécution de Sacco et de Vanzetti, sorte d’affaire Dreyfus à l’américaine. Le contexte des années 1920 ressemblait à celui d’aujourd’hui, en plus brûlant encore, avec l’arrivée de millions de migrants fuyant la misère, des inégalités sociales sordides, des attentats meurtriers, un gouvernement xénophobe et un Ku Klux Klan au sommet de sa puissance. Sans oublier de nouveaux médias, qui raccourcissent les distances et échauffent les esprits : le parallèle avec l’actualité est tentant.

L’affaire Sacco et Vanzetti, c’était l’Amérique réactionnaire accusant l’immigration de masse. En particulier les Italiens, considérés comme une race inférieure. En 1920, Nicola Sacco, jeune père de famille, et Bartolomeo Vanzetti, vendeur de poissons au regard doux et aux splendides moustaches, sont accusés du braquage d’une usine et d’un double meurtre dans le Massachusetts.

Les débuts de l’antiaméricanisme ?

Le procès est une mascarade, dans laquelle trempe l’élite WASP de Boston, y compris des cadres de Harvard. Des preuves balistiques sont fabriquées, des témoignages inventés. Dans une ambiance cocardière (les cercueils des soldats américains revenaient encore des tranchées françaises), les questions du procureur tournent autour de leur fidélité à la bannière étoilée, alors que Sacco et Vanzetti, anarchistes convaincus, avaient fui au Mexique pour éviter la conscription.

Au fil d’un procès perdu d’avance, le duo s’aperçoit qu’il représente une cause qui le dépasse. La défense exploite un climat de lutte ouvrière dans le pays pour monter une stratégie à la Jacques Vergès : elle veut faire exploser le cadre du procès, mettre le capitalisme américain en accusation aux yeux du monde. La presse à grand tirage et la radio transforment l’affaire en feuilleton du Bien contre le Mal, et les condamnés en martyrs. Leur exécution par la chaise électrique, le 23 août 1927, entraîne des émeutes à Paris, Tokyo, en Afrique du Sud, et signe peut-être les grands débuts de l’antiaméricanisme.

Dépeints comme sales, criminels et violents, ces Italiens d’hier étaient en quelque sorte les Latinos et les musulmans d’aujourd’hui.

On sait aujourd’hui que Sacco et Vanzetti n’étaient pas les anarchistes fleur bleue décrits par les grandes plumes de l’époque (John Dos Passos, Upton Sinclair, Romain Rolland). En quête d’un idéal pur, ils fréquentaient des durs de durs, adeptes de l’action violente et de l’assassinat politique. Les attaques anarchistes visaient des procureurs, des industriels, jusqu’au ministre de la justice. Une bombe explose à Wall Street le 16 septembre 1920 : elle tue 38 personnes et en blesse 200. Les travaux de Topp confirment que Sacco et Vanzetti se trouvaient sur les lieux de plusieurs attentats lors de leur déclenchement, et qu’ils connaissaient personnellement plusieurs de leurs auteurs. Ce qui n’en fait pas pour autant les coupables du braquage et du double meurtre pour lesquels ils ont été condamnés. « Leur appartenance au groupe anarchiste a joué un rôle crucial dans l’issue du procès », souligne Michael Topp, historien des mouvements sociaux à l’université du Texas à El Paso, et auteur d’un ouvrage sur l’affaire en 2004.

Entre 1880 et 1920, les États-Unis ont absorbé 20 millions d’immigrants, en grande partie venus d’Europe. Parmi eux, 4 millions d’Italiens dans le collimateur des Anglo-Saxons, qui les pensaient inassimilables. À New York, les Irlandais, arrivés avant eux et à qui l’on n’avait fait aucun cadeau, les forçaient à prier dans les caves des églises. Dépeints comme sales, criminels et violents, ces Italiens d’hier étaient en quelque sorte les Latinos et les musulmans d’aujourd’hui. « L’atmosphère actuelle du pays est similaire à l’ère Sacco et Vanzetti, selon Michael Topp. Les immigrants, surtout ceux aux croyances considérées comme suspectes, ne sont pas les bienvenus. Si un procès équivalent avait lieu aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il inspirerait une telle révolte. »

Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti à leur arrivée au pénitencier de Charlestown, Massachusetts, en 1927. / Keystone France

Des 4 millions d’Italiens de la grande migration, la moitié repartira, certains victimes de rafles et de déportations de masse. L’autre moitié réalisera le rêve américain. Leurs descendants ont plutôt voté Trump en 2016. « Je dirais à 60 % pour Trump et à 40 % pour Clinton, comme les autres Blancs. Le vote italo-américain est devenu un vote de Blancs », explique Richard Alba, sociologue des migrations, qui a grandi dans le Bronx, et dont le grand-père est sicilien. Alba incite à la prudence sur ces questions : à la suite de plusieurs générations de mariages mixtes, on n’est plus vraiment italo-américain à 100 %. Un signe d’intégration totale. « De nombreux descendants d’immigrés italiens votent à droite, ajoute Michael Topp. Pour certains, ce n’est pas un basculement : Mussolini était populaire dans la communauté jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie. Pour d’autres, il s’agit d’un tournant à droite, personnel ou générationnel, qui a sans doute à voir avec un sentiment d’appartenance à la nation. »

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Un hommage est organisé à Boston le 23 août par la Sacco and Vanzetti Commemoration Society. Il n’attirera pas des foules de millenials américains. Ceux-ci ont d’autres causes à défendre aujourd’hui, même si l’affaire soulève des questions intemporelles sur les libertés civiles, l’indépendance de la justice et les droits des immigrés aux États-Unis. Elle reste un mythe, où s’entrechoquent l’Amérique telle qu’elle aime se voir et l’Amérique telle qu’elle se comporte.