A la fin de l’année dernière, une bombe antibunker a détruit un abri souterrain dans la province de Hama, en Syrie. Un groupe de travailleurs humanitaires se réfugiait à l’intérieur au même moment. Neuf d’entre eux, tous Syriens, ont été tués sur le coup. Il n’y avait rien d’accidentel dans cette frappe aérienne. C’était soigneusement planifié et exécuté, avec les humanitaires pour cible.

En février, six travailleurs de la Croix-Rouge ont été abattus dans une embuscade au nord de l’Afghanistan alors qu’ils traversaient le désert pour approvisionner en bétail les personnes dans le besoin. Leurs véhicules étaient clairement marqués comme humanitaires. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a décrit l’incident comme étant la pire attaque menée contre son personnel en vingt ans.

Puis, début août, encore six volontaires de la Croix-Rouge ont été tués en Centrafrique alors qu’ils étaient en réunion dans un établissement de santé à Mbomou.

Au cours de ces deux derniers mois seulement, des travailleurs humanitaires ont été bombardés, mitraillés, enlevés et tués en Afghanistan, en Centrafrique, en Somalie, en Syrie et au Soudan du Sud.

En 2016, 158 attaques majeures et planifiées visant les opérations d’aide humanitaire ont fait parmi les travailleurs humanitaires 101 morts et 98 blessés, alors que 89 autres étaient kidnappés. La grande majorité des personnes tuées et blessées (85 %) appartenaient aux personnels nationaux des organisations humanitaires.

Viols collectifs au Soudan du Sud

Une chose est claire : le respect des règles de la guerre s’est effondré dans beaucoup trop d’endroits. Les travailleurs humanitaires aident les personnes les plus vulnérables. Cela signifie qu’ils travaillent dans les zones de guerre, en sachant les risques qu’ils courent. Mais contrairement aux combattants, les travailleurs humanitaires ne sont pas des parties au conflit ; ils sont là pour apporter une assistance vitale aux personnes qui font face au pire scénario que l’on puisse imaginer – la guerre.

Le 19 août de chaque année, les travailleurs humanitaires à travers le monde font une pause afin de marquer la Journée mondiale de l’aide humanitaire. Ce jour-là, nous saisissons l’occasion d’honorer par le souvenir nos collègues, amis et proches qui ont été tués sur les lignes de front des différentes crises et de leur rendre hommage pour leur sacrifice et les services qu’ils ont rendus. Nous nous rassemblons également en solidarité avec les millions de civils pris au piège dans les conflits, pour demander aux dirigeants du monde qu’ils exercent toute l’influence diplomatique, politique et économique en leur pouvoir pour assurer que les parties au conflit protègent les civils.

Par nature, les attaques deviennent de plus en plus brutales là où le droit international humanitaire continue de s’éroder.

Lors de l’une des plus odieuses attaques perpétrées contre le personnel humanitaire dans la guerre au Soudan du Sud, le 11 juillet 2016, des dizaines de soldats du gouvernement ont pénétré dans la zone du complexe résidentiel abritant les travailleurs humanitaires à Juba. Ils ont commis des viols collectifs sur plusieurs travailleuses humanitaires et exécuté un journaliste en forçant les autres à regarder. Personne ne devrait jamais avoir à endurer une telle barbarie insensée. Par de tels actes, les soldats ont envoyé un message à la communauté humanitaire : notre neutralité n’est pas respectée et nous ne sommes pas protégés en tant qu’humanitaires.

Le personnel médical visé

Dans d’autres conflits, la distribution de l’aide est entravée pas les parties au combat, ce qui constitue une tactique pour empêcher l’aide vitale d’atteindre les communautés qui vivent du « mauvais » côté de la ligne de front, lesquelles sont alors maintenues dans les privations durant des années.

Le personnel médical, en particulier, est souvent visé par les attaques, ce qui a de profondes conséquences sur le long terme en matière de soins de santé dispensés aux communautés qui en ont pourtant désespérément besoin. En 2016, plus de 979 travailleurs médicaux ont été tués ou blessés dans des attaques contre le personnel de santé et les installations médicales.

Deux hôpitaux soutenus par Médecins sans frontières (MSF) au Yémen ont été pris pour cible par des frappes aériennes en 2016, en dépit du fait que l’organisation avait partagé ses coordonnées GPS avec les parties au conflit et clairement marqué d’une croix les toits des établissements concernés. A eux deux, ces hôpitaux servaient plus de 270 000 personnes.

De nombreux incidents n’ont jamais fait l’objet d’enquête et, dans les rares cas où des enquêtes ont été menées, elles n’ont pas respecté les normes internationales.

Cela envoie un message direct aux auteurs de ces violences, leur signifiant que la violence contre les humanitaires est admissible et que les parties au conflit peuvent faire fi de leurs obligations en matière de respect du droit international humanitaire, sans que cela n’ait pratiquement aucune conséquence. Le nombre de personnes ayant eu à rendre des comptes est si faible qu’il n’existe aucun chiffre officiel enregistré.

Si certaines attaques sont certes commises par des groupes armés non étatiques, il n’en demeure pas moins qu’en termes purement statistiques, ce sont les États qui sont responsables du plus grand nombre de décès de travailleurs humanitaires : 54 humanitaires ont été tués par des acteurs étatiques en 2015 et 2016.

Les Etats doivent engager des enquêtes

Les répercussions des attaques menées contre le personnel humanitaire dépassent les seuls travailleurs humanitaires. Ces attaques bloquent l’aide dont ont tant besoin les personnes affectées par les conflits ; elles privent les enfants de traitements vitaux, empêchent les familles de recevoir une aide alimentaire et privent les communautés de l’accès à un abri.

Nous ne pouvons tolérer que nos collègues soient délibérément pris pour cible ou blessés sans distinction. Le système doit changer. Trois choses concrètes peuvent être faites pour mieux protéger les travailleurs humanitaires.

Premièrement, les États doivent engager des enquêtes et des poursuites face aux violations graves. Les États, en particulier les plus influents, doivent demander aux parties au conflit, y compris à leurs propres forces, de respecter le droit international et faire en sorte que les auteurs aient à rendre des comptes.

Au Soudan du Sud, une forte pression internationale a conduit à ce que quelques-uns des soldats accusés de l’attaque contre le complexe abritant les travailleurs humanitaires soient traduits en justice. Si ce procès apporte une certaine justice, il montrera ce qui est possible. Mais la pression diplomatique doit être cohérente. Pour les dizaines d’attaques contre des humanitaires perpétrées depuis au Soudan du Sud, les responsables ont bien peu été amenés à rendre des comptes, si tant est que cela soit même arrivé une seule fois.

Deuxièmement, les organisations d’aide doivent toujours démontrer leur neutralité. Nous devons dénoncer ceux qui utilisent l’aide ou l’accès comme monnaie d’échange, prenant les plus vulnérables en otage. Nous devons nous insurger contre ceux qui veulent faire de l’aide humanitaire un moyen d’atteindre d’autres objectifs politiques. Si nous voulons aider les personnes qui en ont le plus besoin, l’aide doit être impartiale et neutre. Sinon, nous risquons de devenir partisans et politisés et d’être la cible d’attaques.

Les guerres ont des règles

Enfin, nous devons mieux assurer le devoir de protection à l’égard de tous les personnels sur les lignes de front, en particulier pour ce qui est du personnel national. Les agences d’aide internationales opèrent de plus en plus à distance dans des environnements hautement dangereux. Cela signifie qu’elles délivrent cette aide par le biais de partenaires locaux sur lesquels elles transfèrent donc les risques.

Les organisations partenaires aux niveaux local et national bénéficient d’un niveau de sécurité et de soutien inadéquat de la part de leurs partenaires internationaux. Nous devons les doter d’une meilleure formation en matière de sécurité sur le terrain, comme cela est recommandé par le récent rapport « Présence et proximité : rester et assister, cinq ans plus tard ». Les donateurs et partenaires internationaux devraient s’assurer que les besoins sécuritaires des partenaires nationaux soient pris en compte dans les propositions et les budgets, afin qu’ils aient les ressources nécessaires pour protéger leur personnel.

Effectuer ces changements est urgent et vital pour la vie et la survie de nombreuses personnes. Aujourd’hui, plus de 141 millions de personnes – dont la grande majorité sont affectées par des conflits – ont désespérément besoin d’une assistance humanitaire, ce qui constitue le plus grand nombre jamais enregistré en la matière. Nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser tomber.

Les guerres ont des règles. Il est temps de les appliquer, au lieu de laisser de courageux travailleurs humanitaires risquer leur vie et d’abandonner sous les tirs trop de gens parmi les plus vulnérables et les voir perdre leurs proches.

Jan Egeland est secrétaire général du Norwegian Refugee Council et ancien coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies. Stephen O’Brien est secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies et coordonnateur des secours d’urgence.