La double attaque qui a fait au moins quatorze morts à Barcelone et Cambrils (Espagne), jeudi 17 août, porte à sept le nombre d’attentats à la voiture bélier réussis sur le sol européen en 2017. On retrouve ce mode opératoire dans un quart des vingt-huit attentats ayant fait des victimes, recensés par Le Monde depuis le début de l’année.

L’utilisation des voitures béliers par les terroristes a été analysée ces derniers mois comme la manifestation de la montée en puissance d’un terrorisme « low cost ». Pratiqué par des individus isolés et autoradicalisés, ce type d’attentat serait plus facile à perpétrer sans l’appui logistique d’une organisation terroriste structurée, capable de fournir des armes à feu, des explosifs et une formation à leur maniement. Un scénario qui ne semble pas être celui des attentats à Barcelone, dans lesquels plusieurs terroristes sont impliqués.

L’attentat de Nice : le choc qui a installé la menace

L’affaiblissement croissant de l’organisation djihadiste Etat islamique (EI) sur son autoproclamé « califat » irako-syrien, conjuguée à l’élimination de plusieurs de ses figures-clés identifiées comme les inspirateurs des grands attentats commis en Europe, tendraient à favoriser ce type de passage à l’acte.

L’usage de voitures béliers, qui remonte à l’entre-deux-guerres, a longtemps été justifié par des visées crapuleuses. Il s’agissait alors davantage pour leurs auteurs de projeter leur véhicule sur une façade pour faciliter un braquage ou dégrader des bâtiments que de chercher à traverser une foule pour tuer. La plupart du temps, aucun conducteur n’est même présent dans le véhicule, qui fonce sans chauffeur sur sa cible.

L’usage de véhicules béliers à des fins terroristes ne remonte toutefois pas à 2017. Dès 2009, ce mode opératoire était utilisé en Europe par un certain Karst Tates, qui tenta de porter atteinte aux jours des membres la famille royale néerlandaise en projetant sa voiture sur le convoi qui les transportait à travers la ville d’Apeldoorn, à l’occasion des festivités de la Fête de la reine. Il tua alors six personnes et en blessa huit autres, sans atteindre sa cible, avant de succomber à ses blessures à l’hôpital.

La voiture bélier fut ensuite utilisée à plusieurs reprises par les séparatistes kurdes du PKK en Turquie, comme le 1er août 2015, lorsqu’un tracteur transportant 2 tonnes d’explosifs frappa un poste de gendarmerie dans la région d’Agri. Ce type d’attentat s’était déjà imposé depuis quelques années en Israël, où il faisait particulièrement florès parmi les Palestiniens qui s’en prenaient aux militaires israéliens en Cisjordanie.

En France, un véhicule incendié lancé à pleine vitesse avait bien été utilisé en 2012 pour frapper la sous-préfecture de Corte, en Corse, sans faire de victime. C’est toutefois le drame du 14 juillet 2016 à Nice qui a résolument installé cette nouvelle menace dans les esprits. En traversant une promenade des Anglais bondée avec un poids lourd de 19 tonnes avec l’intention de tuer, au risque d’y perdre sa propre vie, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a tué 86 personnes et en a blessé 458.

Dès lors, plusieurs villes françaises ont suivi l’exemple d’Israël en s’équipant de blocs de béton anti-intrusion pour protéger les manifestations publiques de telles attaques.

Dans les mois suivants, plusieurs villes européennes devaient subir la même douloureuse expérience, à chaque fois au nom de l’EI :

La multiplication de ces attaques est telle que l’administration américaine de transport aérien se fend, en mai, d’une note alertant sur le risque des attaques au véhicule bélier. Elle dénombre pas moins de dix-sept attaques terroristes de ce type à travers le monde depuis 2014, pour un total de 173 morts et 667 blessés.

Selon nos calculs, en Europe, ces attentats ont fait 146 morts et 309 blessés depuis 2015. S’ils restent, en moyenne, moins meurtriers que les attaques à l’explosif ou les fusillades, ils sont logiquement beaucoup plus dangereux que les assauts à l’arme blanche (couteau, machette, marteau, etc.) – l’autre forme de terrorisme « low cost » qui se développe depuis deux ans.

Une inspiration pour d’autres terrorismes ?

Les derniers mois nous ont malheureusement montré que la voiture bélier ne restait pas l’apanage des « soldats » de l’EI. La multiplication de ces attaques semble donner des idées à d’autres profils de terroristes. A commencer par les antimusulmans, comme Darren Osborne, qui fait un mort et onze blessés en fonçant sur des fidèles musulmans à la sortie de la mosquée de Finsbury Park, à Londres, le 19 juin.

Dix jours plus tard, un Arménien de 43 ans fait de même à la sortie de la mosquée de Créteil, dans le Val-de-Marne, mais les barrières de sécurité empêchent son 4 × 4 de faire des victimes parmi les fidèles visés. La justice française refuse toutefois de qualifier cet acte de « terroriste », faisant valoir les antécédents psychiatriques et les « propos confus en référence aux attentats » prononcés par l’auteur après son arrestation.

Le 12 août, de l’autre côté de l’Atlantique, un suprémaciste blanc traverse avec sa voiture une foule de manifestants antiracistes à Charlottesville, en Virginie. Un acte visiblement délibéré qui provoque la mort d’une jeune militante et blesse dix-neuf autres personnes.

Deux jours plus tard, la série semble vouloir se poursuivre à Sept-Sorts, en Seine-et-Marne, où un homme traverse la devanture d’une pizzeria, tuant une jeune fille et blessant douze personnes. Son état dépressif et sa grande consommation de stupéfiants conduisent cependant rapidement la justice à écarter la piste terroriste. Tout au plus l’homme a-t-il pu s’inspirer des récentes attaques terroristes à la voiture bélier pour ce geste irréparable et « désespéré ».

Méthodologie

Les données utilisées dans cette article, ainsi que la méthodologie choisie par Le Monde pour les rassembler, sont exposées ici.