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L’alcool n’est pas une fatalité sur les festivals qui fleurissent chaque été dans l’Hexagone. Organiser un grand rassemblement artistique sans bière locale ni vin de pays – les deux boissons phares sur ce genre d’événement – est possible. L’Arbre qui marche en est la démonstration. Cet éco-festival musical revendique même haut et fort sa sobriété sur ses affiches.

Sa septième édition se déroule jusqu’à dimanche dans le parc arboré d’un château privé de la commune de Saint-Martin-du-Bois (Maine-et-Loire) : à la buvette, on peut commander des jus de fruit bio, des tisanes, des sirops, du tchaï (lait végétal infusé au thé noir), du bissap (infusion d’hibiscus), mais de boissons alcoolisées point. A l’entrée, les agents de sécurité veillent à ce qu’aucune bouteille prohibée ne pénètre sur le site.

Au comptoir de la buvette du festival. / FP

L’Arbre qui marche n’est pas la première manifestation à adopter cette politique. L’association est une émanation d’un autre festival, le Rêve de l’Aborigène, qui se tient depuis dix-sept ans à Airvault (Deux-Sèvres), et dont la vocation est de promouvoir la culture des peuples autochtones d’Australie. Las de voir les musiciens qu’ils invitaient monter sur scène dans un état éthylique avancé – l’alcoolisme a commis des ravages dramatiques chez les aborigènes – ses organisateurs ont imposé une abstinence progressive (seulement lors des repas du soir), puis totale, sur leur manifestation. Né en 2007 dans l’ouest de la France, l’Arbre qui marche a décidé d’adopter la même démarche dès sa première édition.

Beaucoup d’enfants sont présents sur le festival. / Yannick Geffroy /regardailleurs.morkitu.org

Située à contre-courant des usages de consommation qui existent sur la très grande majorité des festivals, notamment musicaux, l’initiative est assumée à plusieurs titres par ses instigateurs. « Supprimer l’alcool permet de créer une atmosphère plus sereine et plus conviviale. Cela amène aussi un public plus familial, avec beaucoup d’enfants. C’est aussi plus simple en matière de sécurité : nos équipes de service d’ordre et de secouristes ont d’ailleurs tendance à s’ennuyer pendant le week-end », explique Corentin Tropée, le président de l’Arbre qui marche.

Concert improvisé entre deux musiciens qui ne se connaissaient pas. / Yannick Geffroy /regardailleurs.morkitu.org

La mesure a toutefois sa contrepartie : elle prive la comptabilité de revenus non négligeables Là où certains festivals dégagent jusqu’à 50 % de leurs revenus de la vente de boissons et de sandwiches, la buvette de l’Arbre qui marche ne rapporte que 10 %. « C’est le prix à payer », admet Corentin Tropée, un boulanger-paysan âgé de 30 ans. Le manque à gagner est d’autant plus criant que l’association ne touche aucune subvention locale pour avoir changé de lieu d’implantation à plusieurs reprises depuis sa création : Saint-André-des-Eaux (Côte- d’Armor), Botmeur (Finistère), Vergonnes (Maine-et-Loire) – un nomadisme dû en partie au propre déménagement de ses membres.

Atelier de danse africaine. / FP

L’absence d’alcool n’est pas la seule singularité de cet événement dont le credo est de placer le festivalier au centre de la programmation. Celui-ci est d’ailleurs appelé « festacteur » afin de souligner son implication. Des dizaines d’ateliers lui sont proposés : yoga du rire, méditation collective, danse « du lâcher prise », jonglage, découverte des plantes sauvages, massage énergétique du crâne… Chaque visiteur peut aussi proposer lui-même une formation « spontanée » qui se déroulera dans l’une des yourtes ou des tentes installées sur le site.

Des conférenciers vont, eux, parler de permaculture et de « synergie dans les relations humaines ». Une cuisine autogérée permet de faire réchauffer son frichti (végétarien, de préférence). Un camion équipé de panneaux solaires recharge les téléphones portables.

Le camion à panneaux solaires, pour recharger les téléphones portables. / Yannick Geffroy /regardailleurs.morkitu.org

Une mini-scène ouverte, enfin, est mise à disposition des festivaliers qui souhaiteraient pousser la chansonnette ou faire une démonstration de didgeridoo, ce long instrument à vent qui est un peu le symbole, avec la guimbarde, de l’Arbre qui marche. « C’est aussi cela qu’offre l’absence d’alcool sur le site : le public est plus disponible, plus attentif. Il profite mieux de ce qui lui est proposé en étant sobre », argumente Corentin Tropée.

La programmation artistique s’inscrit dans cette démarche. « Les groupes de musique traditionnelle et de musique du monde qui se produisent sur les deux scènes vont proposer des répertoires plutôt calmes, à l’image de l’état d’esprit qui règne sur le site », précise Christalen Fieu, le coordinateur du festival. Deux formations mongoles spécialisées dans le chant diphonique sont notamment à l’affiche cette année.

Les frères mongols Argusan. / FP

A l’instar de l’alcool, les instruments électriques et électroniques sont prohibés sur scène. « Nous demandons aux artistes de s’adapter à notre esthétique en remplaçant par exemple une guitare électrique par une guitare acoustique », indique Christalen Fieu.

Les festivaliers, enfin, sont invités à mettre la main à la pâte sur le plan artistique. Plusieurs œuvres collectives seront réalisées pendant le week-end avec la contribution du public : une fresque peinte, des pierres gravées, un « mandala en land-art », ainsi qu’un totem en bois de quatre mètres de haut que les organisateurs espèrent planter durablement, à la fin du festival, dans le parc du château, avec l’assentiment des propriétaires.

Taille du futur totem. / FP

L’Arbre qui marche, jusqu’au dimanche 20 août.