Passer une journée ou un week-end à rencontrer les acteurs de vos séries et sagas cinématographiques favorites, entourés de fans qui partagent la même passion : c’est ce que de plus en plus d’organismes spécialisés proposent aux fans français. Si le phénomène prend de l’ampleur depuis le début des années 2010, il n’est pas tout à fait nouveau en France, mais ce modèle de convention avait disparu de l’Hexagone pendant près d’une décennie.

Ces conventions, non officielles et spécialisées dans la rencontre avec les acteurs, reposent sur un modèle précis, importé des Etats-Unis. Des « pass » donnent accès à la convention et à des activités, comme les « panels », des séances de questions et réponses entre les invités et le public. « J’étais tellement heureuse quand j’ai vu les acteurs sur scène, c’était incroyable : les personnes que je voyais sur mon écran chez moi, qui m’inspirent dans la vie de tous les jours, se tenaient juste là ! », raconte Duaa Javid, 19 ans, qui s’est rendue en juin à la convention The Hunter of Shadow, à Paris, où elle a rencontré des acteurs de la série Shadowhunters.

Les fans peuvent ainsi rencontrer les acteurs pendant des séances de signatures d’autographes, de photographies individuelles ou de groupe. Le « meet and greet » leur permet même de passer une demi-heure avec un invité et un petit groupe de fans. La plupart des conventions organisent aussi une soirée, pendant laquelle les acteurs passent de table en table pour discuter avec les fans.

Des fans ont pu discuter avec l’acteur David Gillies lors de la soirée de la convention Welcome to Mystic Falls 3, qui portait sur la série « The Vampire Diaries ». / France Knaff/RosterCon

Des pass à plusieurs milliers d’euros

Ces conventions ont un coût : le prix d’un pass varie entre 60 et 170 euros. A cela s’ajoute celui des « extras » : il faut payer les photographies ou les autographes en plus. Les organisateurs mettent aux enchères un pass VIP, qui comprend toutes les activités, et dont le coût atteint souvent plusieurs milliers d’euros. Les prix des extras sont calculés en fonction de la popularité de l’acteur, qui demande un cachet afin d’y participer.

« Il faut financer les salles, les avions des invités, la nourriture, les photographes, explique celui qui se fait appeler Xenan, président de l’association Xivents. Nous ne faisons aucun bénéfice, d’autant que nous payons une TVA de 20 %, et une retenue à la source sur les cachets des acteurs. » Leur montant exact reste confidentiel. « Ça va de 3 000 euros à plusieurs centaines de milliers d’euros », précise Myriam Aggoun, cofondatrice de l’association Empire Convention.

Les prix sont loin de rebuter les fans. Le site RosterCon recensait six conventions de ce type en France en 2014… Contre cinquante-six en 2017. France Knaff et son collègue Alexandre Juhel ont eu l’idée de ce site spécialisé sur les conventions dès 2013, en constatant le nombre croissant d’organismes spécialisés. Leur existence n’est toutefois pas une nouveauté en France.

Les photographies des séances avec les acteurs sont imprimées en direct pendant la Grey’s Con, une convention sur  la série « Grey’s Anatomy ». / France Knaff/RosterCon

Les conventions, c’est-à-dire des événements pendant lesquels des fans se retrouvent autour d’un « fandom », une communauté de fans formée autour d’un univers, d’une œuvre ou d’un artiste, ont commencé aux Etats-Unis dès les années 1930, sous forme d’événements littéraires pour échanger sur l’œuvre d’un auteur ou un genre de fiction. La science-fiction télévisée, avec « Star Trek » par exemple, et la popularité des comics à partir des années 1960, ont rendu la pratique plus courante.

Inspiration hollywoodienne

A la fin de la journée, les fans font la queue pour récupérer les photographies prises avec les acteurs. / France Knaff/RosterCon

En 1971, Gary Berman et Adam Malin fondent Creation Entertainment, aujourd’hui l’un des plus gros organisateurs américains. « Ils ont été les premiers à inviter des acteurs de la série “Star Trek”, et se sont inspirés des pratiques hollywoodiennes de signatures d’autographes. Ces deux hommes sont les pères fondateurs des conventions modernes », estime Julie Caitlin Brown, actrice et chargée de négocier les contrats et la venue des acteurs aux conventions.

Elle a joué dans de nombreuses séries de science-fiction, dont « Star Trek » et « Babylon 5 », pour lesquelles elle participait à des conventions.

« On signait des autographes pour 5 dollars, et nous apportions nos propres photos. C’étaient des moments très personnels. Les acteurs à l’écran ne rencontrent que rarement leur public, contrairement à des musiciens ou des comédiens. Ces conventions permettent de savoir comment notre travail est reçu. »

La véritable expansion du marché américain des conventions accueillant des acteurs est venue avec le tournant des années 2000, et reste étroitement liée à l’évolution d’Hollywood. Les succès des blockbusters issus des cultures des comics et de la science-fiction, comme Spiderman ou X-Men, ont donné plus de visibilité aux fandoms. « La science-fiction et les films de genre sont devenus “mainstream”, explique-t-elle. Monsieur Tout-le-monde voulait rencontrer les acteurs de ces films et ces séries, et de plus en plus de conventions ont commencé à en inviter. »

Après des pertes financières et une arnaque, les conventions ont connu un coup d’arrêt en France

Julie Caitlin Brown a créé en 1997 son entreprise, Illumina Production. Aujourd’hui, elle représente 90 acteurs dans plus de 280 conventions. Elle a vu le phénomène se développer aux Etats-Unis… Et traverser l’Atlantique jusqu’en Europe.

Dès les années 1990, des fan-clubs français avaient commencé à copier le modèle de Creation Entertainment. « Avec Internet, les fandoms se sont mondialisés. » L’idée de rencontrer un acteur venu des Etats-Unis paraissait moins saugrenue. En France, les conventions sur « Star Trek », « Stargate », ou « Buffy contre les Vampires » étaient très populaires. Jusqu’au jour où, raconte Julie Caitlin Brown, « plusieurs organisateurs ont décidé d’arrêter parce qu’ils perdaient de l’argent. Les deux femmes qui géraient la convention “Stargate” ont disparu du jour au lendemain, alors qu’elles devaient de l’argent à beaucoup de fans, sans rembourser personne. Les fans étaient en colère, et pendant plusieurs années les conventions françaises se sont arrêtées. »

« Les acteurs sont plus difficiles à négocier »

Depuis le début des années 2010, les conventions spécialisées dans les acteurs ont commencé à réapparaître en France. De nouvelles séries ont attiré l’attention des fans. « “Supernatural”, “The Vampire Diaries”, “Teen Wolf”… ces séries s’inspirent du succès de “Buffy” : de la fantasy avec une pincée d’occulte, des acteurs et actrices sexy, un propos qui parle aux jeunes, explique Mme Caitlin Brown. C’est comme s’il avait fallu qu’une nouvelle génération de fans arrive. » Mais la concurrence accrue entre les organisateurs de conventions a fait monter les prix des acteurs.

« Les premiers cachets à six chiffres, c’étaient des Espagnols, qui voulaient absolument avoir les deux acteurs principaux de “Supernatural”. Ils leur ont proposé 100 000 dollars chacun. Le fait qu’un organisateur soit prêt à payer autant a changé le marché à jamais. »

Les fans sont toujours très enthousiastes lorsque les acteurs s’expriment sur scène. Ici, à la Super Heroes Con 2 sur les séries « The Flash » et « Arrow », en juin 2016. / France Knaff/RosterCon

L’écosystème français des conventions a été fragilisé par plusieurs épisodes. L’un des organismes créé en 2011, Guest Events, a eu beaucoup de succès, avant d’annuler ses dernières conventions sans rembourser les fans, en 2016. Les gérantes ont disparu des réseaux sociaux, et de nombreux fans, dont certains avaient dépensé près de 2 000 euros, se sont mobilisés en ligne afin d’obtenir réparation.

Deux ans avant, le collectif As an Event avait tenté d’organiser une convention sur la série « Game of Thrones », à l’aide d’un financement participatif. Là aussi, la tentative s’est soldée par un échec et le non-remboursement des fans. « Les acteurs sont plus difficiles à négocier depuis l’affaire Guest Events, car les gérantes payaient des cachets très élevés. Et les fans sont plus méfiants », déplore Mathilde Blondot, vice-présidente d’Empire Conventions. Comme Xivents et Empire Conventions, la plupart des organismes en France sont des associations à but non lucratif de loi 1901.

Un loisir comme un autre

L’enthousiasme des fans est au rendez-vous, malgré les déboires. Des articles de blogs relatent le déroulement heure par heure, les anecdotes et les petites phrases des acteurs. Et chacune – le public de ces conventions est à 80 % féminin, selon France Knaff – a des souvenirs à raconter. Solène, 18 ans, qui s’est rendue à la convention sur l’univers « Chicago », garde en mémoire « ce moment où mes amies et moi avons dansé avec un des acteurs lors de la soirée ».

Cécile, 18 ans, a rencontré les acteurs Lindsey Morgan et Christopher Larkin à la convention We are Grounders 2, qui s’est tenue à Toulouse, en février, consacrée à « The 100 ». / Royal Events/Cecile Cros

Pour certains fans, le prix des conventions peut être un frein. Cécile Cros, qui a reçu en cadeau le pass pour sa première convention, sur la série « Teen Wolf », a « économisé pendant deux ans pour la convention sur “The 100” », pour laquelle elle a dépensé environ 500 euros. Constance a pu rencontrer Carrie Fisher, l’interprète de la princesse Leia, peu avant son décès lors de la « Star Wars » Celebration, une convention officielle de la saga qui s’est tenu en 2016 à Londres. Si elle ne s’est jamais rendue à une convention sur une série, elle pense être « prête à payer si le thème [l’]intéresse » : « Je considère que c’est un loisir, plutôt que d’acheter un billet pour un concert au stade de France, je me paye une convention. »