Plate-forme pétrolière Total en mer du Nord, en 2012. / - / AFP

C’est la plus grosse opération de Total depuis sa fusion avec Elf en 1999. Et la plus importante en mer du Nord depuis le mariage des norvégiens Statoil et Norsk Hydro en 2006. La compagnie pétrolière française a annoncé, lundi 21 août, l’acquisition pour 7,45 milliards de dollars (6,3 milliards d’euros) du danois Maersk Oil & Gas, filiale du numéro un mondial du transport maritime A. P. Moller-Maersk.

Cette opération, qui lui permettra d’accroître ses réserves prouvées et probables de l’ordre d’un milliard de barils, s’ajoutant aux 11,5 milliards actuels, et de porter sa production à 3 millions de barils (équivalent pétrole) par jour en 2020.

La transaction, qui doit être bouclée au premier semestre 2018, prévoit que la maison mère du pétrolier danois recevra l’équivalent de 4,95 milliards de dollars en actions Total. Le groupe émettra 97,5 millions d’actions destinées à A. P. Moller-Maersk sur la base d’un prix égal à la moyenne des cours des vingt dernières séances, ce qui représentera 3,75 % du capital social élargi de la major française. Celle-ci reprendra également 2,5 milliards de dette de Maersk Oil.

De nombreux avantages

Cette opération présente de nombreux avantages pour le géant français. Maersk détient de fortes positions au Royaume-Uni, en Norvège et au Danemark dans des gisements très prometteurs en cours de développement, indique au Monde le PDG de Total, Patrick Pouyanné. Et ces positions sont aussi « très complémentaires dans de nombreuses régions » avec celles de la major française.

Alors que la production d’or noir en mer du Nord décline depuis le pic atteint en 2000, l’intégration des activités de Maersk Oil fera passer le français de la troisième à la deuxième place dans la région, derrière Statoil. « L’acquisition apporte une hausse immédiate de production de 6 % et renforce sa croissance à moyen terme », souligne Valentina Kretzschmar, analyste du grand cabinet d’expertise pétrolière Wood Mackenzie. « La production de Total passera de 2,1 millions à 3 millions de barils par jour entre 2014 et 2020 », résume M. Pouyanné.

Autre avantage : un rééquilibrage géographique du portefeuille pétrogazier. Le secteur des hydrocarbures est très exposé aux aléas géopolitiques. M. Pouyanné a signé deux contrats majeurs, au Qatar, en 2016 et en Iran, en juin. L’opération avec Maersk, explique-t-il, s’inscrit aussi dans la politique de « diversification des risques » de Total, puisque 85 % de ses réserves sont situées dans des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), auxquels s’ajoutent le Kenya, l’Algérie, le Kazakhstan et l’Angola.

« Politique de discipline financière »

Les analystes ont bien accueilli l’opération, qu’ils jugent raisonnable et opportune au moment où les prix bas du pétrole rendent les actifs plus intéressants. L’opération est très supportable pour le géant Total, qui affirme se donner les moyens de mener une politique maîtrisée de croissance externe.

Le groupe reste « engagé dans une politique de discipline financière définie dès 2014 », quand le prix du baril a commencé à chuter, rappelle M. Pouyanné. Il n’y déroge pas, et ne devrait pas modifier l’enveloppe d’investissement de 2018 (de 15 milliards à 17 milliards de dollars), mais il juge que cette politique rigoureuse lui a permis de dégager les marges de manœuvre financières nécessaires pour cette « opération Maersk ».

De nombreuses compagnies ont dû céder des actifs depuis la baisse des cours du brut, mais les plus puissantes ont aussi procédé à des acquisitions ces deux dernières années. En 2015, l’anglo-néerlandais Royal Dutch Shell a racheté le britannique BG pour 52 milliards de dollars.

En janvier, ExxonMobil a dépensé 5,6 milliards en actions et 1 milliard en liquide pour acquérir des droits dans les gaz et les pétroles de schiste du bassin permien (ouest du Texas). Un choix que Total n’a pas fait. Il reste prudent en raison des déboires subis dans les gaz de schiste, depuis la création, en 2010, d’une coentreprise avec l’américain Chesapeake.

Prudence

Rachat d’actifs et croissance externe plutôt qu’exploration ? Total joue sur les deux tableaux. Mais pour la plupart des majors, les coûteuses campagnes de recherches (notamment dans l’offshore profond) lancées au début de la décennie, quand le baril valait 100 dollars, se sont révélées décevantes.

Avec l’effondrement du prix du brut à partir de l’été 2014, elles ont considérablement réduit ce type de dépenses, ainsi que les capitaux consacrés au développement des projets les plus gourmands (gisements marins par grande profondeur, sables bitumineux du Canada…).

S’ils bénéficient de cibles relativement bon marché, les pétroliers restent néanmoins prudents. En dehors de Shell-BG, ils ne se sont pas livrés à des mega-fusions comme au tournant des années 2000. Le prix du brut reste figé autour de 50 dollars le baril, et les perspectives d’un rééquilibrage du marché et d’une remontée des cours en 2018 demeurent incertaines.