Assis au café Esperanza, une bouteille d’eau à la main, Ahmed regarde la télévision, sans arriver à y croire. « J’espère que tout est enfin fini », dit cet ouvrier marocain, qui vit depuis deux ans dans la petite ville de Ripoll, à 110 kilomètres au nord de Barcelone.

Sur l’écran géant, défilent des images un peu floues, prises par des caméras surveillance de quelqu’un qu’il a bien connu et qu’il définit comme « un jeune très respectueux », Younes Abouyaaqoub, 22 ans, le conducteur de la fourgonnette qui, jeudi 17 août, a fait 13 morts et 88 blessés sur les Ramblas de la capitale catalane.

Abouyaaqoub, identifié par les forces espagnoles de sécurité comme l’auteur de l’attentat, a été abattu, lundi 21 août, près de la localité de Subirats, située à 50 kilomètres à l’ouest de Barcelone. Il a été surpris par deux agents de proximité qui étaient sur sa piste dans les chemins bordant les champs de vignes, a plus tard expliqué le chef de la police catalane, Josep Lluis Trapero.

Deux alertes avaient signalé la présence dans les parages d’un jeune homme qui
ressemblait aux photos et au descriptif diffusé par la police – « brun, cheveux courts, 1,80 m ». Il portait, selon l’un des témoins, « une chemise à manches longues » malgré la grosse chaleur.

Lorsque les agents se sont approchés, Abouyaaqoub a ouvert sa chemise pour dévoiler une ceinture d’explosifs qui se révélera être fausse. Il aurait crié « Allahu akbar » (« Dieu est grand ») « et c’est alors que les agents ont tiré », a raconté M. Trapero. Le suspect a ensuite été identifié en comparant l’empreinte digitale de son index à celle de sa carte d’identité. « On a retrouvé sur lui diverses armes blanches qui vont être analysées », a encore ajouté le responsable catalan.

40 kilomètres en quatre jours

Ainsi a pris fin une cavale qui avait commencé sur les Ramblas, jeudi, vers 18 heures. Profitant du chaos et de la confusion, Abouyaaqoub abandonne alors la camionnette blanche qui vient de semer la mort sur l’avenue ; il traverse le marché de La Boquería, le plus emblématique de Barcelone, où, à ce moment-là, tout le monde court en tous sens.

Il se dirige vers le vieux quartier d’El Raval. Pendant plus d’une heure et demie, en marchant tranquillement ou en accélérant le pas, ont montré les caméras de vidéo surveillance, il va parcourir plus de cinq kilomètres, à pied, dans une ville en panique.

Il arrive au parking de la cité universitaire et s’approche du Ford Focus blanc de Pau Perez, 34 ans, désormais considéré comme la quinzième victime des attaques – une quatorzième personne est morte dans la ville côtière de Cambrils. M. Perez, est en train de se garer. Abouyaaqoub réussit à le poignarder et jette son corps sur le siège arrière du véhicule à bord duquel il va essayer de sortir de Barcelone.

Mais il tombe sur un contrôle de la police catalane ; celle-ci a déclenché l’opération « Jaula » (« cage ») pour boucler la ville. Il refuse de s’arrêter au barrage routier et renverse un agent. Il abandonne la voiture quelques kilomètres plus loin, à Sant Just Desvern, vers 19 heures C’est alors que la police perd sa piste.

Il a fallu du temps pour faire le lien entre les attentats, la fuite d’Abouyaaqoub et la mort de Pau Perez, qui a été enterré lundi, dans sa ville natale de Villafranca del Penedés, non loin de l’endroit où son assaillant a trouvé la mort.

En quatre jours, l’auteur de l’attentat aura parcouru une distance d’un peu plus de quarante kilomètres. Qu’a-t-il fait ? A-t-il bénéficié de l’aide de complices ? Etait-il seul ? C’est ce que la police catalane, qui a répété que « l’enquête reste ouverte », va devoir élucider.

Inconnus des services antiterroristes

Autre élément nouveau, les forces espagnoles de sécurité ont confirmé la mort de l’imam Abdelbaki Es Satty, cerveau présumé de la cellule djihadiste. C’est sa maison qui avait été rasée par une puissante déflagration à Alcanar, localité située à 200 kilomètres au sud de Barcelone, la veille de l’attentat de Barcelone.

Es Satty, âgé d’une quarantaine d’années, qui vivait aussi à Ripoll, aurait préparé « pendant des mois » avec les douze djihadistes, « une ou plusieurs attaques de grande envergure » selon les forces de sécurité. « Je lui en ai payé des cafés à celui-là », raconte Ahmed, « à cette même table ! Si j’avais su ! » Il décrit l’imam comme « quelqu’un de discret qui ne parlait pas beaucoup, quelqu’un de normal ».

Le café Esperanza, en face de la gare, est le lieu de réunion des Marocains de Ripoll, la petite ville aux pieds des Pyrénées catalans où vivaient les membres présumés de la cellule. Normalement, on y vient pour suivre les matchs de foot mais depuis jeudi la télévision est branchée sur les chaînes d’infos.

A part Abouyaaqoub, cinq membres de la cellule ont été abattus par la police, lors de l’attaque ratée à la voiture-bélier à Cambrils dans la nuit du jeudi au vendredi, et trois (dont l’imam) ont péri à Alcanar. Quant aux quatre personnes arrêtées – trois Marocains et un Espagnol –, elles devaient comparaître mardi à Madrid, devant le juge de l’Audience nationale, le tribunal spécialisé dans les affaires de terrorisme, chargé de l’enquête.

Il s’agit de Driss Oukabir, qui s’est livré à la police, affirmant son innocence, de Mohamed Aallaa, le propriétaire de l’Audi utilisée à Cambrils, de Salah El Karib, gérant d’un café Internet à Ripoll, et de Mohamed Houli Chemlal, blessé dans l’explosion d’Alcanar. Aucun n’était connu des services de l’antiterrorisme. « Je vois tous ces visages à la télé, et j’ai l’impression de voir un film, dit Ahmed, Ça n’a rien à voir avec ma vie à Ripoll. Ici je me sens tellement chez moi que je ne ferme même pas ma voiture. »