Salif Diallo, le 23 décembre 2014, à Ouagadougou, peu après la chute du président Blaise Compaoré. / Sophie Garcia

Sur l’échiquier politique du Burkina Faso, Salifou Diallo tenait la place de la reine. La pièce la plus forte, sans pour autant être assis sur le trône. Dans le monde des voyous, on aurait dit « qu’il valait mieux l’avoir avec soi ». Salifou Diallo, que tout le monde prénommait Salif, était un faiseur de rois, le stratège des présidents, celui qui pouvait vous porter aux nues puis vous faire chuter de votre piédestal. Blaise Compaoré peut en témoigner.

Après Thomas Sankara et Blaise Compaoré, il était sans nul doute le personnage politique burkinabé le plus intéressant et, surtout le plus intriguant, dans tous les sens du terme. Salif Diallo a toujours su entretenir une part d’ombre qui ne le rendait que plus fascinant.

On savait le président de l’Assemblée nationale affaibli par un problème cardiaque depuis des années. Dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 août, il s’est éteint à l’âge de 60 ans à Paris, après avoir reçu des soins en Tunisie. Sa dépouille doit être mise en terre, vendredi 25 août, à Ouahigouya, sa ville natale. Le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a décrété trois jours de deuil national en son hommage. Avec son décès, c’est tout un pan de l’histoire politique du pays qui disparaît ; ses secrets les plus enfouis aussi.

En France, son nom était apparu dans les gros titres de la presse quand l’avocat Robert Bourgi l’avait désigné comme le convoyeur des fameux djembés remplis d’argent remis à Jacques Chirac. « Un mensonge d’un vulgaire porteur de mallettes », tonnait de sa voix rauque le mis en cause, qui, toute sa vie, conserva un art de la manigance appris au sein du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV).

Longue série de mystères

Retour en arrière. Après avoir fait ses gammes d’agitateur à l’université de Ouagadougou, dont il fut renvoyé, puis complété ses études de droit à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, le jeune homme entre dans l’arène politique en 1986. Jean-Marc Palm, un communiste rencontré à Bobo-Dioulasso, l’introduit auprès de Blaise Compaoré, alors ministre de la justice de Thomas Sankara. « J’ai dit à Blaise que j’avais un camarade qui cherchait du travail. Il m’a demandé en plaisantant : “Est-ce qu’il est beau ?” Je lui ai répondu : “En tout cas, il est grand” », raconte celui qui est désormais l’un des cadres du parti au pouvoir. Le « beau Blaise » hésite mais accorde cette faveur à son copain d’enfance. Salif Diallo devient alors son directeur de cabinet dans un pays en pleine effervescence.

Un an plus tard, quand les divergences entre Compaoré et Sankara éclatent au grand jour, Salif Diallo se range derrière son mentor. « Il a participé à la tension entre les deux », corrige Achille Tapsoba, actuel président par intérim du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré : « Salif était hostile à la manière dont Sankara menait la révolution. Il a été de ceux qui ont amené Blaise à crever l’abcès avec Sankara. »

Crever l’abcès… De quoi entretenir le premier de la longue série de mystères qui entoureront celui qui se faisait surnommer « Gorba » (en référence à l’ancien président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev). A-t-il participé à l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 ? Ses opposants le pensent sans le dire, se contentant de rappeler le caractère « jusqu’au-boutiste » et « autoritaire » de cet « animal politique » pour qui « seule la fin justifie les moyens ».

« On prête à Salif un peu trop de choses », tempère Jean-Marc Palm, qui se plaît à rappeler ces mots de son « camarade coco » : « Même quand quelqu’un frappe sa femme la nuit et que je ne la connais pas, on me met dans le coup, on dit que c’est moi. »

Quoi qu’il en soit, à cette époque, Salif Diallo a choisi le camp des vainqueurs. Celui du capitaine Compaoré, devenu président après son coup d’Etat. Directeur de cabinet, chargé de mission, ministre, conseiller spécial du président… Il enchaîne les portefeuilles et devient l’homme de confiance de celui qui étend peu à peu son pouvoir en interne et son influence dans la région. « Il faisait et défaisait les gouvernements, affirme un ex-ministre. Blaise ne mettait pas les mains dans le cambouis. Il avait une gestion télécommandée du pouvoir. Il régnait comme un empereur et les plus fidèles gouvernaient. En première ligne, il y avait Salif. »

« Diplomatie de l’ombre »

Salif Diallo tient sa place dans la lumière, mais il montre toute son habileté dans les coulisses. « Que ce soit en Libye ou en Afrique de l’Ouest, c’est lui qui a tissé le réseau de Blaise Compaoré, raconte un membre des cercles du pouvoir. Il était l’homme de confiance qui tenait la diplomatie de l’ombre. C’est notamment lui qui a géré les expulsés de Folembray [quand 20 islamistes avaient été expédiés en 1994 de France vers le Burkina Faso] ou le soutien à l’Unita [Union nationale pour l’indépendance de l’Angola]. »

Selon cette source, la rébellion angolaise avait fait de Ouagadougou sa base arrière et y avait installé sa « centrale d’affaires », tout d’abord gérée par Salif Diallo puis récupérée par François Compaoré, le frère cadet du président, et par sa belle-mère, Alizetta Ouedraogo, qui constitua sa fortune à partir du « trésor de guerre de l’Unita ».

Cette inimitié envers François Compaoré, « petit président » qui règne sur les milieux d’affaires et se voit succéder à son frère, sera le tombeau de sa relation avec Blaise Compaoré. « Il était contre cette gestion clanique du pouvoir, ce qu’il appelait la patrimonialisation de la vie politique », explique Antoine Zong-Naba, un de ses conseillers.

Son franc-parler lui avait déjà coûté son poste de ministre de l’agriculture. « Il avait osé dire à Blaise que la campagne présidentielle de 2005 devait être sa dernière. Blaise n’a pas apprécié », raconte Jean-Marc Palm.

« Je ne suis pas un yes man », déclarera-t-il avant d’être « exilé » en Autriche, en 2008, au poste absurde d’ambassadeur du Burkina Faso. S’il perd la main sur le CDP, le parti qu’il avait contribué à créer treize ans plus tôt, il prépare sa vengeance avec d’autres « placardisés » de renom : Simon Compaoré, l’actuel ministre de la sécurité, et Roch Marc Christian Kaboré, désormais président du Faso. En janvier 2014, les trois hommes prennent la tête d’une fronde de 75 députés qui annoncent d’une même voix leur démission du CDP. « On a mis les trois plus proches de Blaise en avant pour que le choc de la démission du CDP en entraîne d’autres », se souvient un cadre du pouvoir actuel.

Autobiographie inachevée

Quelques mois plus tard, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) naissait, accélérant le processus de décomposition du régime Compaoré, qu’une insurrection populaire finit par emporter en octobre 2014. Salif Diallo en fut l’une des chevilles ouvrières. D’après plusieurs sources sur place, il fut l’un des instigateurs de la mobilisation des jeunes qui allèrent incendier l’Assemblée nationale le jour où les députés s’apprêtaient à offrir un nouveau mandat à celui qui régnait depuis vingt-sept ans sur le Burkina Faso. Paradoxe, un peu plus d’un an plus tard, Salifou Diallo s’installait au perchoir.

Pendant la tentative de coup d’Etat, en septembre 2015, c’est encore lui qui fit jouer ses réseaux pour faire échouer le putsch du général Gilbert Diendéré. « Après qu’ils ont envoyé un char devant chez moi, j’ai quitté le pays. Je suis allé expliquer aux présidents Issoufou [Niger] et Déby [Tchad] que toute l’armée n’était pas avec les putschistes », disait-il. Selon des sources régionales, son vieux camarade au pouvoir au Niger lui aurait alors fourni les moyens de motiver les soldats loyalistes. Une fois le coup d’Etat déjoué, Salif Diallo avait simplement admis « avoir travaillé avec les jeunes militaires pour qu’ils fassent pression sur leur hiérarchie ».

Affaibli par la maladie, Salif Diallo « préparait sa retraite politique et disait ne pas vouloir finir son mandat » à l’Assemblée nationale, assure l’un de ses proches. Son projet d’autobiographie restera inachevé. Selon l’expression d’un député, du triumvirat aux commandes du Burkina Faso ne reste maintenant que « Roch l’humaniste » et « Simon le militant ». Le stratège n’est plus.