Emmanuel Macron, pendant son déplacement à Bucarest, le 24 août. / INQUAM PHOTOS / REUTERS

Après un été marqué par une chute de popularité et avant un automne potentiellement agité sur le plan social, le président de la République a décidé de revoir sa stratégie de communication. Le déplacement d’Emmanuel Macron en Europe centrale, entamé mercredi 23 août, a clairement marqué un changement de pied en la matière. Dès mercredi soir, le locataire de l’Elysée a notamment accepté de répondre longuement à une question de politique intérieure depuis l’Autriche, enfreignant la règle qu’il s’était lui-même fixée.

Interrogé sur une contradiction éventuelle entre sa lutte contre le dumping social en Europe et sa volonté de flexibiliser le droit du travail en France par ordonnances, M. Macron a longuement justifié sa politique devant les caméras et les chefs de gouvernement de trois pays étrangers. « Quel est ton taux de chômage, Christian ? » a-t-il lancé au chancelier autrichien. « 5,4 », lui a répondu le social-démocrate Christian Kern. « L’Autriche a presque deux fois moins de chômage que nous, a rebondi le président. La réalité est que la France est la seule grande économie européenne qui n’a pas gagné face au chômage de masse. C’est notre problème, c’est le fait que le marché du travail en France ne fonctionne pas bien. Ce n’est pas de la faute du travail détaché. »

Le président s’est ensuite lancé dans une très longue démonstration, inhabituelle dans un tel cercle diplomatique, sur son projet de basculement d’une partie des cotisations sociales vers la CSG. Une façon inédite de s’adresser à distance à ceux qui, en France, critiquent sa volonté de réformer le marché du travail par ordonnances. Au premier rang, son prédécesseur François Hollande, sorti de sa réserve mardi 22 août pour mettre en garde contre des « sacrifices qui ne sont pas utiles ».

A l’Elysée, on assume parfaitement cette évolution, en estimant que la phase de raréfaction et de prise de distance de la parole présidentielle à laquelle s’était astreint M. Macron, pour rompre avec les pratiques de ses prédécesseurs Hollande et Sarkozy, est terminée. « Cette tournée européenne me permet d’expliquer la cohérence entre l’agenda français et l’agenda européen », a précisé le président lors d’une conférence de presse avec son homologue roumain, jeudi, avant de récidiver devant la communauté française de Roumanie. « La France n’est pas un pays réformable, c’est un pays qui déteste les réformes, il faut lui proposer de se transformer en profondeur pour lui redonner un vrai leadership européen », a-t-il lancé, alors que les ordonnances doivent être présentées le 31 août et qu’elles pourraient déclencher une contestation sociale.

S’exprimer directement aux Français

Si le président veut que le premier ministre et les ministres soient plus présents dans les médias, il devrait surtout s’exprimer lui-même au cours des prochaines semaines. « La rentrée est un moment politique où le président est légitime pour parler. Il y a des choses à dire pour donner sa vision et fixer le cap et les échéances des réformes à venir », explique son entourage. Mieux, Emmanuel Macron envisage également de s’exprimer à l’avenir une à deux fois par mois directement auprès des Français, selon des informations recueillies par Le Monde. Il réfléchit encore sur le médium, mais ce ne sera pas forcément le réseau social Facebook Live comme il s’y était habitué pendant et après la campagne.

Ces rendez-vous réguliers, à la manière des causeries radiophoniques de Pierre Mendès France ou du président américain Roosevelt, auraient pour but de faire la pédagogie des lois promulguées. Le chef de l’Etat, qui tient à distance la presse depuis son élection, n’exclut plus non plus désormais de lui parler de façon plus directe, sans toutefois aller jusqu’à organiser des grandes conférences de presse comme François Hollande. Cet exercice apprécié de son prédécesseur est jugé très durement par M. Macron qui estime que les questions des journalistes n’étaient souvent pas au niveau.

Ce changement de position s’explique en partie par les ratés de communication de cet été, avec la baisse non assumée du budget de la défense ou des allocations au logement, et l’adoption mal vendue de la loi sur la moralisation de la vie politique. Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, les débats sur les mesures d’économie ont manqué de cadre et d’explication, même si sur le fond il assume totalement ces choix qui doivent permettre à la France de respecter les 3 % de déficit cette année. Surtout, le président estime que la presse a été très dure envers lui, pour des motifs parfois inavoués. Il reproche ainsi en privé au Figaro d’avoir roulé pour son propriétaire, l’avionneur Serge Dassault, forcément inquiet du niveau du budget de la défense.

L’Elysée est aussi très critique du rôle de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, assimilé à une réminiscence du « vieux système ». Face aux attaques du leader de la France insoumise, l’inexpérience des députés de La République en marche est plutôt vue par le chef de l’État comme un atout et un signe de fraîcheur. Pas question de reconnaître l’impression de confusion qu’ont donnée les premiers pas du groupe parlementaire, ni de lâcher son président Richard Ferrand, pourtant très critiqué pour son manque d’implication lors des débats.

Equilibrer droite-gauche

Un des enjeux de taille pour le président est de conserver son équilibre droite-gauche dans sa politique. Il ne veut surtout pas donner l’impression que les mesures les plus marquées à droite, comme la flexibilisation du marché du travail ou la réforme de l’ISF, seront bien appliquées dans leur totalité et dans les temps, alors que les promesses plus sociales du candidat Macron sont, elles, étalées, voire repoussées à plus tard, à l’image de l’exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables. Même si la baisse de la CSG sera bien appliquée en deux temps pour des raisons budgétaires, l’Elysée assure que la totalité des promesses de Macron en la matière seront respectées en 2018 et que les Français verront bien un premier impact sur leur pouvoir d’achat dès le 1er janvier.

Immédiatement après l’adoption des ordonnances sur le marché du travail, Emmanuel Macron compte toujours lancer les réformes de l’assurance-chômage et de la formation. Celles-ci doivent notamment aboutir à faire disparaître la gestion paritaire de l’assurance-chômage et à l’étendre aux indépendants et aux démissionnaires, tout en renforçant le contrôle des chômeurs. M. Macron veut qu’une partie de ces réformes soient appliquées dès le 1er janvier. Au même moment que l’entrée en vigueur de la réforme du marché du travail, une manière de faire passer la pilule.

Même stratégie pour la politique du logement après la baisse uniforme des APL. Celles-ci doivent être réformées pour passer à une politique de l’offre, explique-t-on à l’Elysée, qui ne veut plus que l’Etat finance les bailleurs sociaux tout en donnant des aides au logement aux locataires, ce qui constituerait un double financement inefficace. Emmanuel Macron espère que ce cocktail permettra aux Français de comprendre que ses deux formules fétiches, « en même temps » et « ni de droite ni de gauche », sont toujours d’actualité.