Entre vos mains, un cahier noir. Sur la première page, une simple phrase : « L’humain dont le nom est inscrit dans ce cahier meurt. » Que feriez-vous si, du bout d’un stylo, il suffisait d’écrire un simple nom pour condamner une personne et décider dans les moindres détails de sa mort prochaine ?

Le succès du manga Death Note de Takeshi Obata et Tsugumi Ohba a traversé les frontières. Son scénario, qui mêle la mort, la justice, la morale et l’amour a trouvé un écho international. La série, publiée entre 2003 et 2006, a ainsi connu un grand nombre d’adaptations : un anime japonais, des films live action (avec de vrais acteurs), une série télévisée coréenne ou encore une comédie musicale. Une série audio de douze heures, adaptée par la maison d’édition Luebbe, est même en développement en Allemagne et prévue pour l’été 2018.

Death Note | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:18

Netflix s’est aussi lancé dans la partie et a choisi le format d’un film en live action réalisé par Adam Wingard, de sortie vendredi 25 août. Il racontera, à l’instar du manga, les péripéties de Light Yagami, un lycéen qui trouve le Death Note. Intelligent et cynique, Light décide donc que pour faire le bien, il va tuer tous les criminels et ainsi débarrasser le monde du mal. Très vite, Interpol et un mystérieux enquêteur, L, remarquent ces meurtres systématiques qui semblent être l’œuvre d’un dieu de la mort. Commence alors une course-poursuite entre L et Kira (le nom donné à Light par les enquêteurs), entrelacée de profonds questionnements philosophiques et moraux sur la société humaine.

Un « mashup » de références

« Death Note ne contient rien de très original en lui-même, résume pour Le Monde le professeur anglais Darren John Ashmore, professeur d’anthropologie et directeur des études japonaises à l’université de Yamanashi Gakuin (Japon). Mais il soulève habilement de nombreux éléments par lesquels il nous fait questionner notre moralité. Il y a de tout dans Death Note : des éléments bibliques comme les démons, de la fantasy, de la romance, du thriller, de la violence… Et la série projette la question du bien et du mal sur chacun d’entre eux. »

Adam Wingard va même plus loin dans un communiqué de presse : « On passe de l’action à la comédie et au drame de manière complètement fluide. On dirait presque un mashup [utilisation d’images empruntées] en fait, et il semble que la pop culture se dirige de plus en plus vers cette pratique. »

Entre thriller, comédie ou encore fantasy, l’histoire de « Death Note » mélange tous les genres. / JAMES DITTIGER/NETFLIX

Rien qu’en France, le manga s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires, selon l’éditeur Kana. « Un manga ne vit et ne se vend que lorsqu’il y a des nouveautés, explique Stéphanie Nunez, attachée de presse chez Kana. Death Note fait partie des rares séries, avec Dragon Ball par exemple, qui vend toujours énormément, même sans actualités. »

Son parcours est d’autant plus atypique qu’il s’agit d’une série courte ne comptant que douze tomes, un nombre peu élevé en manga – pour comparaison, Naruto en compte soixante-douze et Dragon Ball, quarante-deux. Elle se maintient pourtant dans les vingt meilleures ventes manga de Kana chaque année.

La quête de toute-puissance, fantasme adolescent

L’une des raisons est probablement l’histoire elle-même. Death Note est un récit simple : celui d’un adolescent parti en quête de pouvoir. Light Yagami exerce le pouvoir équivalent à celui d’un dieu de la mort, sans souffrir des conséquences de ses actes dans les premiers chapitres.

Light Yagami trouve le Death Note – le cahier de la mort. / VIZ MEDIA

« C’est d’un attrait évident et immense pour les adolescents qui ont la sensation que le monde est contre eux et qu’ils ne peuvent rien y faire », analyse Jonathan Clements, auteur anglais de l’essai Anime : une histoire.

« Les deux personnages principaux sont de plus très ambigus. D’un côté, Light est un serial killer convaincu de faire ce qui est bien, de l’autre L est un détective super-intelligent prêt à sacrifier des vies humaines dans sa quête de justice. »

La lecture de Death Note a donné lieu à un florilège de faits divers en Amérique et en Chine, où des enfants achetaient des cahiers dans lesquelles ils commençaient à écrire les noms des gens qu’ils souhaiteraient voir morts, en précisant la manière dont ils voudraient les voir mourir. A Bruxelles, en 2007, un morceau de papier signé « Kira » en japonais est trouvé à côté d’un corps démembré. Le meurtre est surnommé le « manga murder », et résolu seulement trois ans plus tard. « Contrairement à l’impression qu’elle peut donner, l’histoire de Death Note fait preuve de droiture morale et d’un sens de la justice et du karma, défend Jonathan Clements. Mais ils ne deviennent réellement apparents que dans les derniers chapitres. »

Un nouveau genre

Le scénario de « 100 Bullets » pose des questions similaire à celles de « Death Note », mais de manière plus sombre. / VERTIGO/DC COMICS

GTO a lancé un nouveau genre avec son ton complètement décalé pour l’époque. / PIKA ÉDITIONS

Death Note n’est d’ailleurs pas la seule œuvre à proposer cette réflexion. La série américaine 100 Bullets de DC Comics (Brian Azzarello et Eduardo Risso) raconte l’histoire d’un agent qui propose une arme banalisée et cent balles intraçables à divers personnages. Face à la possibilité de se venger de leurs agresseurs, quelles sont les réactions ?

Mais là où 100 Bullets est très sombre, Death Note parvient à insuffler de l’humour tout au long de son récit – notamment à travers les personnages secondaires ou Ryuk, le démon au cynisme piquant. Ces œuvres atypiques, qui marquent l’histoire du manga, sont très recherchées par les éditeurs japonais. Ceux-ci sont prêts à prendre beaucoup de risques pour se démarquer et lancer un nouveau genre.

« Quand Great Teacher Onizuka (GTO) est arrivé, les gens étaient complètement perdus, constate Darren John Ashmore. Ce n’était ni un manga sur les yakuzas ni un manga sur l’école. C’était un peu tout à la fois, avec de l’humour par-dessus le marché. C’était quelque chose d’autre. »

Un dessin qui mélange les codes

Le tome 13 de « Death Note » est une nouvelle sur les deux personnages principaux. / © 2003 BY TSUGUMI OHBA, TAKESHI OBATA/SHUEISHA INC.

Graphiquement, Death Note était aussi plutôt innovant. Œuvre de Takeshi Obata, reconnu pour son travail du détail, le dessin sortait des standards traditionnels. « Si on regarde Death Note, on voit quelque chose visuellement proche du shojo – manga destiné aux filles – mais qui incorpore des éléments horrifiques du shonen – destiné aux garçons », note M. Ashmore. Le dessin de Obata ne différencie pas son audience, il est destiné à tout le monde.

Il incorpore aussi des inspirations américaines, Hellblazer de DC Comics par exemple. « Il y a tellement de références bibliques dans le dessin d’Obata, des images de Light qui se tient debout sur la ligne entre paradis et enfer, la pomme que mange en permanence Ryuk, le démon en référence au péché originel… »

Série culte, unique à bien des égards, Death Note, n’a cependant pas vraiment trouvé d’héritier direct. « Je pensais qu’il y aurait plus d’effet à la fin de la parution du manga, déplore Darren John Ashmore. Il y a bien eu une vague de mangas plus sombres qui est arrivée, mais rien qui n’ait ce niveau d’immersion et de réflexion. Depuis la montée en puissance des groupes de pop japonais, la J-pop, l’industrie a changé de système : elle a développé une forte culture du fan service et des produits dérivés. Il y a de moins en moins de récits avec un questionnement en profondeur, du type de Your Name ou de Death Note. »