« Mise en abyme », d’Henri Jacobs, à la chapelle Sainte-Tréphine de Pontivy. / ANAÏS KERVELLA

A Pontivy (Morbihan) et dans une douzaine de villages environnants, le sacré et l’art contemporain ont des choses à se dire. Lancé en 1992 à l’initiative du maire d’une des communes concernées, l’Art dans les chapelles développe, chaque été, son concept singulier : demander à des artistes de créer des œuvres pensées pour être exposées dans des édifices consacrés au culte.

« Consacrés » est un bien grand mot cependant, puisque la plupart des chapelles retenues n’ouvrent leurs portes aux fidèles qu’une fois par an, pour des messes de pardon de la mi-août. Le festival – gratuit – attire entre 25 000 et 35 000 personnes. Soit « davantage que la biennale d’art contemporain de Rennes », se félicite Eric Suchère, son directeur artistique.

« Life is not black and white », de Polly Apfelbaum à la chapelle Saint-Jean du Sourn. / ANAÏS KERVELLA

Sur les murs de la chapelle Sainte-Tréphine de Pontivy, le Néerlandais Henri Jacobs a peint des cercles bleus faisant écho aux médaillons du plafond qui retracent l’histoire de la sainte (décapitée par son mari au VIe siècle).

A la chapelle Saint-Jean, sur la commune du Sourn, l’Américaine Polly Apfelbaum a suspendu des morceaux de céramique rappelant les vitraux de style gothique, éclats qui symbolisent aussi les notes d’une méthode parallèle d’écriture de la musique (shape notes).

« La défaite, hommage à Edwin Traurig (1870- ?), d’Erwan Ballan, à la chapelle Saint-Meldéoc de Guern. / ANAÏS KERVELLA

A Saint-Meldéoc, à Guern, Erwan Ballan a installé une scène de dévastation en carton et tissu, au milieu de laquelle un cow-boy futuriste criblé de flèches d’Indiens évoque le martyre de saint Sébastien (attaché à un poteau et transpercé de flèches).

Faire entrer l’art contemporain dans des lieux voués à la religion n’est pas simple ; il faut se concilier les grâces d’un certain nombre d’acteurs locaux : les maires (propriétaires des églises), les architectes des Bâtiments de France et les curés, à qui est réservé le droit de décrocher les œuvres jugées blasphématoires ou inappropriées. « La loi précise que les manifes­tations se déroulant dans des églises doivent être d’ordre liturgique. Celles qui ne le sont pas bénéficient d’une permission de l’évêché, lequel a le dernier mot », indique Eric Suchère. Aucun décrochage n’a eu lieu en 26 éditions.

L’étonnante chapelle Saint-Gildas, de Bieuzy-les-Eaux, n’accueille pas d’œuvre d’art pendant le festival mais elle fait partie des quatre parcours proposés. / ANAÏS KERVELLA

Deux contraintes sont imposées aux artistes : ne pas intervenir dans le chœur et utiliser des matériaux traditionnels, comme de la peinture à la chaux, pour les œuvres touchant au bâtiment même. Plusieurs mois avant le début du festival, le directeur artistique présente aux responsables ecclésiastiques les artistes qu’il a sélectionnés. « Mais jamais leur projet, précise-t-il. Entre les fantasmes des uns et l’imagination des autres, on ne sait jamais ce qui peut se construire dans l’esprit de personnes qui ont parfaitement le droit de ne pas connaître l’art contemporain. Les risques sont faibles, cela dit. Nous pratiquons l’autocensure afin qu’il n’y ait pas de manifestation de rejet. »

Les réactions les plus virulentes ne viennent pas des religieux, mais des fidèles et des riverains qui ont parfois tôt fait de crier au sacrilège. Afin de déminer le terrain, le festival organise, pour chaque installation, un « prévernissage » auquel sont invités les habitants, en présence de l’artiste, chargé d’expliquer son travail.

« Pour que quelqu’un les ait vues » de Claire Colin-Collin, à la chapelle Saint-Tugdual de Quistinic. / ANAÏS KERVELLA

« Nous ne cherchons pas à obtenir l’adhésion générale, souligne Eric Suchère. On peut comprendre que certains visiteurs ne comprennent pas ce que telles œuvres minimalistes viennent faire là. » A la fin du festival, toutes les installations sont démontées. En attendant l’an prochain.

L’Art dans les chapelles, jusqu’au 17 septembre.