L’éco-cité de Zenata va-t-elle faire oublier l’échec des villes nouvelles au Maroc ? Depuis dix ans, les cités flambant neuves construites à travers le royaume peinent à séduire les nouveaux habitants, pris au piège dans des villes fantômes excentrées. Cette fois, le Maroc s’est lancé dans la construction d’une ville qui se veut intelligente et respectueuse de l’environnement. Inauguré en 2006 par le roi Mohammed VI, le projet d’éco-cité, une expérience inédite en Afrique, devrait accueillir 300 000 habitants d’ici à 2030.

Rien n’est laissé au hasard. Zenata est assise sur un bien foncier d’une grande valeur financière appartenant à l’Etat : une réserve stratégique de 1 830 hectares avec une façade maritime de 5 km à la frontière nord-est de Casablanca, capitale économique où se concentre plus de 30 % du PIB marocain. Et alors que les autres villes nouvelles ont été déléguées à des maîtres d’ouvrage peu scrupuleux, la future éco-cité s’est dotée de sa propre structure, la Société d’aménagement de Zenata (SAZ). Celle-ci a fait appel au cabinet français Reichen & Robert et a bénéficié de l’appui financier de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) et de la Banque européenne d’investissement (BEI).

Présentation de notre série : L’Afrique en villes

Reste que beaucoup sont sceptiques quant au réalisme d’une telle « éco-cité », un concept qui a souvent échoué dans le monde. Dans un entretien au Monde Afrique, Mohamed Amine El Hajhouj, directeur général de la SAZ, défend quant à lui un modèle de ville durable pouvant révolutionner, selon lui, la construction des villes nouvelles au Maroc et en Afrique, où le royaume a engagé une vaste politique d’expansion économique.

Pourquoi créer une ville nouvelle aux portes de Casablanca, la plus grande ville du Maroc ?

Mohamed Amine El Hajhouj Casablanca a besoin de créer de nouvelles centralités urbaines. Depuis longtemps, le manque de centralités oblige la population nombreuse à se déplacer, or le déplacement est le principal vecteur de pollution urbaine. Par ailleurs, le projet a été initié pour répondre à un manque : à Casablanca, la classe moyenne n’arrive plus à se loger. Les années 2000 ont connu une explosion immobilière. On trouve essentiellement de l’habitat social ou des logements de haut standing, voire de très haut standing. Zenata est destinée à la classe émergente.

Concrètement, comment se traduit la démarche d’éco-conception ?

Il s’agit de construire une ville intelligente en termes de mobilité, d’accès aux soins, d’équité sociale, d’exploitation de l’espace public, de sécurité, de gestion des réseaux et de traitement des déchets. A Zenata, l’espace vert constitue 30 % du territoire, soit 15 m2 par habitant, sachant que l’Organisation mondiale de la santé [OMS] en recommande 10. C’est une petite révolution au Maroc. Pour la première fois, les parents avec une poussette, les seniors, les handicapés ou les non-voyants pourront accéder aux espaces publics. Nous allons rendre la ville aux piétons.

Cette démarche correspond-elle à la réalité sociale et culturelle des Marocains ?

D’après une enquête que nous avons menée sur le terrain, l’usager marocain préfère investir dans des logements de plus petite taille mais de plus grande qualité environnementale. Il peut investir 5 à 10 % de plus pour un logement économe à condition que sa facture énergétique se réduise et que l’espace public soit offert.

Et à la réalité économique du pays ?

Notre concept a été cristallisé dans un référentiel d’éco-cité que nous avons labellisé à l’occasion de la COP22 [Conférence de Marrackech sur les changements climatiques, en 2016] avec Cerway, l’entité française qui certifie les projets HQE [haute qualité environnementale]. Ce label s’inspire de toutes les normes internationales mais il épouse en même temps la réalité économique des pays émergents. Au Maroc, le bâtiment éco-conçu est un bâtiment économe qui n’a pas besoin d’atteindre les normes HQE mais répond spécifiquement à nos besoins économiques.

Même s’ils ne sont pas labellisés HQE, les bâtiments éco-conçus coûtent plus cher. Comment garantir l’éco-conception face à des promoteurs soumis à des exigences de rentabilité ?

Nous avons établi un cahier des charges dans lequel nous imposons dans certains cas, proposons dans d’autres, les concepts de développement durable aux promoteurs. Nous avons également travaillé sur les business models des promoteurs pour voir si ce surcoût ne dépasse pas 5 à 10 %. A Zenata, les prix du foncier sont inférieurs au marché car nous voulons offrir aux promoteurs une charge inférieure pour leur permettre de construire aux normes demandées.

Vous souhaitez limiter l’usage de la voiture. Comment éviter les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la ville, notamment pour les futurs habitants de Zenata qui travailleront à Casablanca ?

A Zenata, chaque quartier, que l’on appelle « unité de vie », est conçu de manière semi-indépendante avec un espace public indépendant, des équipements publics indépendants, des écoles privées et publiques, des dispensaires, des cabinets médicaux, des commerces, etc. Les gens n’auront plus à prendre leur voiture au quotidien. Pour les déplacements à l’extérieur, un projet de construction d’un RER reliant Mohammedia à Casablanca, en passant par Zenata, est en cours. Tandis qu’une deuxième ligne de tramway est déjà en construction.

A qui appartient le foncier ? Qu’en est-il des habitants des bidonvilles qui vivaient sur le terrain ?

Le foncier est partagé entre le secteur privé et l’Etat. Comme partout dans le monde, la création d’une ville nouvelle se base sur une déclaration d’utilité publique, d’où la nécessité d’expropriation, régie par une procédure juridique. Les habitants des bidonvilles ne sont pas sujets à expropriation car ils étaient installés sur des terrains qui ne leur appartiennent pas. Mais puisque nous sommes dans une approche inclusive, nous avons décidé de les inclure dans le projet. C’est ce que j’appelle le droit du premier habitant. A Zenata, environ 180 hectares sont réservés au relogement de ces habitants, soit 50 000 personnes.

Où en est le projet aujourd’hui ?

Le projet a déjà franchi plusieurs étapes. L’alimentation en eau potable, l’électrification et les travaux d’assainissement sont achevés. L’échangeur autoroutier est prêt. Tous les travaux d’infrastructures liés à la partie côtière sont en cours de construction. Le pôle commercial, le pôle santé et le pôle éducation sont en route. Une ville ne se construit pas du jour au lendemain, c’est un projet sur une trentaine d’années.

Tous les projets de villes nouvelles qui ont vu le jour au Maroc sont considérés comme un échec. En quoi Zenata est-elle différente ?

Un indicateur éloquent m’a laissé perplexe quand j’ai commencé à travailler sur le projet de Zenata : 75 % des villes nouvelles construites dans le monde sont considérées comme un échec. Pourquoi ? D’une part à cause de l’accessibilité. Or notre première trame de réflexion s’est concentrée sur les transports en commun et les infrastructures d’accès. D’autre part à cause la mono-spécialité. On condamne les villes nouvelles à des villes-dortoirs ou, à l’inverse, à des villes industrielles. A Zenata, nous avons trouvé le juste équilibre entre résidentiel et activité : un emploi pour trois habitants. C’est le bon ratio aujourd’hui pour assurer le succès d’une ville nouvelle.

En créant votre propre label éco-cité, avez-vous l’ambition de construire d’autres villes sur le modèle de Zenata ?

Zenata est un projet pilote qui a été initié sur instruction royale. L’idée, à travers notre référentiel labellisé, est de répondre à la politique du roi Mohammed VI de se tourner vers l’Afrique. Nous voulons exporter ce modèle sur le continent africain et peut-être dans d’autres pays du Sud. C’est pourquoi nous avons pris en compte la réalité économique des pays émergents, pas seulement du Maroc. A travers cette démarche d’éco-conception, nous allons pouvoir certifier des territoires et concevoir des villes dans d’autres pays émergents. Nous tenons particulièrement à aider les pays africains, nos pays frères, à construire les villes durables de demain grâce à la valise à outils urbaine que nous avons créée.

Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »

Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.