Seuls 4 % des étudiants ont bénéficié d’Erasmus depuis sa création, en 1987. / Francisco Osorlo / Flickr (CC by 2.0)

Magali Ballatore, enseignante-chercheuse à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste de la mobilité étudiante, fait le point sur le dispositif Erasmus. Alors que depuis sa création, en 1987, seuls 4 % des étudiants européens ont bénéficié de ce programme.

En quoi parler d’une « génération Erasmus » est-il paradoxal ?

Il est incorrect d’associer ces deux termes. Une génération est un groupe de personnes appartenant à une même classe d’âge. Or, Erasmus concerne avant tout les étudiants… depuis trente ans – même si le nouveau dispositif Erasmus + regroupe aussi de nouveaux publics, comme les demandeurs d’emploi. De plus, il n’y a jamais vraiment eu d’objectif de « massification » ; si on avait voulu en faire un dispositif qui touche la majorité des étudiants, accessible à tous, on se serait fixé l’objectif d’enregistrer environ 80 % d’entre eux, comme celui du taux de réussite au bac. Or, au moment de la création d’Erasmus, l’objectif était de 10 % ! On présente la mobilité comme une norme, mais en réalité, c’est plutôt une exception. Ce constat est valable autant dans le système scolaire que sur les marchés du travail européens.

En dehors de la contrainte financière, qu’est-ce qui peut bloquer les départs des étudiants ?

Les élèves en mobilité sont éligibles à de nombreuses aides. Les boursiers peuvent d’ores et déjà cumuler les bourses européennes, du Crous et de leur région, de leur université lorsqu’elle en propose… Il y a, certes, des freins économiques à la mobilité, mais ce qui joue aussi dans la décision de partir, ce sont les « compétences migratoires » souvent acquises durant la socialisation primaire : les étudiants Erasmus ont a priori davantage voyagé que leurs camarades, ils sont aussi parfois issus de familles binationales, voire ont déjà vécu à l’étranger. Ils enrichissent ainsi un « capital ­culturel de type international ». Il est plus facile pour eux d’envisager de partir étudier à l’étranger, ils ont glo­balement une meilleure connaissance des langues… On constate par ailleurs que ces jeunes sont le plus souvent issus de milieux favorisés.

Toutes les expériences Erasmus sont-elles ­comparables ?

On a tendance à dire que « l’international, c’est très bien », mais de quel « international » parle-t-on ? Il est tout de même plus avantageux d’avoir été dans une « institution prestigieuse » et acquis des compétences dans certaines langues dites « dominantes », que d’en maîtriser d’autres issues de pays moins influents sur la scène internationale – du moins en ce qui concerne l’insertion professionnelle. Ce sont les destinations et les institutions d’enseignement fréquentées qui sont importantes, non le mouvement en soi, qui sont valorisées sur le marché du travail – pour accéder à des emplois qualifiés, rémunérateurs, etc. Les trajectoires des étudiants Erasmus sont donc loin d’être homogènes. Dans les écoles de commerce, d’ingénieurs ou dans les IEP français, l’offre de mobilité encadrée est riche, mais dans beaucoup d’autres institutions scolaires et universitaires, encore trop peu de contrats bilatéraux permettent aux élèves de partir à l’étranger. Après, beaucoup de personnes vous diront que l’intérêt d’Erasmus réside ailleurs, qu’il a forgé une « identité européenne », une « génération 100 % européenne ». Mais il suffit de regarder les données statistiques et de s’intéresser aux résultats de la recherche pour voir que les jeunes Européens n’ont pas une « identité » unique, mais multiple.