Arte Creative

Qu’y a-t-il dans la tête d’Alan Moore ? Bonne question. Mondialement célèbre pour ses séries Watchmen et V pour Vendetta (mais aussi From Hell et la Ligue des gentlemen extraordinaires), le scénariste de bande dessinée britannique est l’une des têtes d’affiche de la rentrée littéraire avec la sortie en français, jeudi 30 août, de Jérusalem (éditions Inculte), roman-monde de 1 300 pages publié au Royaume-Uni en 2016. Arte Creative, la branche numérique de la chaîne franco-allemande, est allée rencontrer ce monstre sacré de la contre-culture chez lui, à Northampton, ville où il est né il y a soixante-trois ans et qu’il a décidé de ne plus délaisser.

La raison ? « Il y a quelques années, j’ai quitté cette ville pour un week-end et il y a une tornade qui s’est abattue dessus, raconte-t-il. Maintenant, je ne bouge plus d’ici car sans moi cette ville va être détruite. C’est une énorme responsabilité. » A l’entendre, Dieu serait d’accord avec lui pour reconnaître « le caractère central et l’importance » de Northampton sur la carte du monde. Adolf Hitler pensait de même, lui dont « le plan d’invasion de la Grande-Bretagne reposait sur la prise » de cette ville des Midlands située à une heure de Londres. Dieu, Hitler, Moore : même combat ! Tout l’art de la provocation chez le scénariste le plus égocentrique de l’histoire du comic book se trouve condensé dans cette explication prononcée sur le ton de l’évidence.

Trump, « bouffon nazi »

Ecrite par Jérôme Schmidt et réalisée par Raphaël Lévy, la websérie documentaire d’Arte Creative comporte huit épisodes de quatre à cinq minutes chacun. Alan Moore y parle beaucoup de politique. De sa détestation de Margaret Thatcher, et de sa haine plus importante encore de Tony Blair. De Donald Trump, qu’il décrit comme un « bouffon nazi ». Du Brexit, fruit d’une « désinformation massive » qui lui inspire cette autre saillie : « Choisir le vote de protestation aux élections, c’est comme débarquer dans un hôtel et décider de faire ses besoins dans le lit en guise d’indignation, puis se rendre compte qu’il va falloir dormir là quand même. »

Déambulant dans Northampton à grands pas d’arpenteur, faisant halte dans une cantine très working class, le géant à la longue barbe grise abandonne l’humour noir quand il s’agit de parler de la récupération du masque de V pour Vendetta par les activistes d’Anonymous : « Cela donne un certain romantisme et un aspect dramatique à leurs luttes », salue le sympathisant anarchiste, sans oublier de rappeler tout le mal qu’il pense du « film indigne » que James Mc Teigue et les frères Wachowski (devenues sœurs depuis) ont tiré en 2006 de son œuvre, initialement créée avec le dessinateur David Lloyd entre 1982 et 1990 pour le compte de DC Comics.

Alors que son nom figure régulièrement dans la liste des favoris au Grand prix du festival de bande dessinée d’Angoulême, Alan Moore a annoncé en 2016 qu’il ne travaillerait plus pour l’industrie du comic book. Les super-héros le lassent, et plus encore la place nouvelle que ceux-ci ont prise dans la culture de masse par le cinéma. « La déferlante de films américains de super-héros n’apporte rien de bon », assène-t-il, en faisant remarquer qu’en 2016, année du Brexit et de l’élection de Donald Trump, « six des douze plus gros films étaient des films de super-héros ». Tout sauf un hasard pour lui : « Sombrer dans cette infantilisation, refuser de grandir et de prendre ses responsabilités dans le monde adulte est une mauvaise chose pour notre culture. »

Dans la tête d’Alan Moore, une websérie de Jérôme Schmidt et Raphaël Lévy.